L'histoire :
New York, janvier 1907, à quelques jours d’un procès retentissant au cours duquel la belle Eve Nesbit, mannequin et mondaine, doit témoigner. Des avocats la conseillent : si elle ne déforme pas légèrement la vérité, leur client est condamné à mort. Une prime d’un million lui est en outre promise en échange de cette vérité arrangée. Mentir déprime Eve, surtout qu’il s’agit de travestir ses propres sentiments. Mais après tout, elle a toujours fait ce que les gens attendaient d’elle… Elle se souvient qu’elle était arrivée de Pittsburgh avec sa mère 6 années plus tôt. Elle avait alors 17 ans et son charme naturel la prédestinait à devenir mannequin pour les peintres et les photographes. Sa mère pilotait alors véritablement sa carrière. Eve était rapidement devenue l’égérie de Stanford White, l’architecte du Madison Square Garden. Ce moustachu pygmalion était un ogre, un infatigable coureur de jupon, mais il nourrissait beaucoup de tendresse pour sa petite Eve. Notamment, il aimait rien tant que la voir se balancer en petite tenue sur une balançoire…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Nathalie Ferlut avait débarqué en 2008 dans le paysage de la BD franco-belge avec de magistrales Lettres d’Agathe. Elle nous revient aujourd’hui chez Casterman avec un autre roman graphique épais, documenté et à l’ambition pleinement satisfaite. Avec Eve sur la balançoire, elle s’est intéressée au destin peu commun d’Evelyn Nesbit (1884-1967), mannequin et égérie des photographes new-yorkais à l’aube du XXème siècle. Bref, un biopic de l’une des premières pin-ups et intrigantes de l’Histoire. La narration débute alors que cette héroïne authentique doit témoigner au cours d’un procès retentissant. Nous apprendrons plus tard que c’est celui de son mari, Harry Thaw, milliardaire toxico et paranoïaque, qui a assassiné son amant, l’architecte Stanford White (sur le toit de l’ancien Madison Square Garden, qu’il avait lui-même conçu !). Depuis ce point de départ qui avait à l’époque défrayé la chronique (extrait de journaux faisant foi), Nathalie Ferlut nous invite à des flashbacks successifs. Ces derniers nous font découvrir l’ascension de l’ingénue demoiselle, manipulée par sa mère et par son charme naturel. Le portrait que l’auteure fait de cette icône de la Belle Epoque newyorkaise, the « true American Eve », n’est ni critique, ni élogieux. Avec neutralité et une grande justesse, il parvient à nous faire pénétrer les états d’âme complexes et souvent déconcertés d’une innocente dépassée par les évènements. Au-delà de la personne d’Eve et de ses amours tragiques de jeunesse, le roman graphique insuffle à ses lecteurs les mœurs d’une ville moderne, en plein essor artistique et social. Sur le plan graphique, Nathalie Ferlut aime varier les techniques et ose un large panel de styles – du réalisme des bâtiments à un trait plus jeté, quasi brouillon – toujours en adéquation avec le moment. Le choix du sujet ne déchainera sans doute pas les foules… mais intéressez-vous tout de même au talent cette auteure, décidément à suivre de près.