L'histoire :
Au début des années 1900, Sigmund Freud a l'occasion de donner une série de conférences à New York. Ses Cinq leçons sur la psychanalyse marquent une étape fondamentale dans la reconnaissance de ses théories. En compagnie de Sandor Ferenci et Carl Jung, la première image qu'il aperçoit depuis le pont du paquebot est évidemment la statue de la liberté. Cette image de femme lui donne l'occasion de bien des questionnements sur la société américaine. Le voyage a d'ailleurs été l'occasion d'échanges passionnés entre les trois collègues sur l'interprétation des rêves et bien d'autres sujets. Lors du séjour qui débute, c'est un jeune neurologue qui servira de guide à Freud. Horace Frink est très impressionné de rencontrer ce docteur qu'il admire et dont il voudrait développer les théories dans sa pratique médicale. Malheureusement, il n'aura pas l'honneur d'être invité à la première conférence à la Clark University. Cette humiliation probablement involontaire va le marquer. Pourtant, lorsqu'il retournera en Europe, Freud trouvera en Frink quelqu'un qui pourra le représenter aux Etats-Unis, et maintenir l'influence qu'il cherche à construire. Mais l'enfance très compliquée de ce dernier va faire de lui un neurologue puis un psychanalyste plutôt instable. La vie de Frink sera une série de choix difficiles et hésitants, voire de fautes professionnelles.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Contrairement à ce que le titre de cet ouvrage semble indiquer, c'est surtout Horace Frink que nous allons découvrir ici, davantage que le bon vieux Sigmund qui quitte le récit au moment de son retour en Europe. Le début de leur rencontre est une très bonne mise en perspective de l'admiration du futur psychanalyste pour son modèle, admiration doublée d'une bonne dose de frustration face à l'indifférence dont il fait l'objet, au début en tout cas. Lorsque la vie de Frink se déroule devant nos yeux, on découvre par petites touches des éléments liés aux théories de Freud, ramenées avec intelligence à des éléments de la vie de son disciple pas toujours exemplaire. Le parcours personnel assez chaotique de l'américain réserve quelques surprises pour la majorité des lecteurs qui ne connaissent pas son histoire. L'auteur Pierre Péju adopte un style très littéraire, qui place d'emblée la biographie dans son époque – le début du siècle dernier – et montre une vraie justesse de ton pour décrire les lieux et les sentiments. Dans un style expressionniste qui utilise également des références historiques, Lionel Richerand illustre cette histoire avec une vraie densité, quelques vues de New York très belles ou des pages plus oniriques qui rappellent notamment le célèbre Cri de Munch. L'association des deux fonctionne très bien, on devine une grande complémentarité entre deux métiers et deux générations différentes, Péju n'étant pas un scénariste de BD, et Richerand apportant une culture de l'image très actuelle.