L'histoire :
Dans les plaines enneigées du grand Nord canadien, un homme marche seul. Il s’accorde une halte, trop heureux de trouver une cabane. Le refuge pourrait être agréable, car de la fumée s’échappe de la cheminée. Il frappe à la porte et entre, après avoir observé une pause, car personne ne répond. Puis il s’installe confortablement. En se restaurant, il fouille la modeste demeure et y trouve un uniforme de la Police Montée, qu’il essaye aussitôt. Parfaitement à l’aise dans son nouveau costume, il a à peine le temps de s’admirer dans un miroir que des coups de feu résonnent et les vitres éclatent. D’un bond, le voilà dehors. Quelques instants plus tard, l’homme scalpe ses trois agresseurs…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Parmi les centaines d’histoires que Hugo Pratt a créées, Jesuit Joe peut être considérée comme très atypique. L’italien dira lui-même que la violence des relations sociales était au cœur de son inspiration, mais qu’il ne pouvait pas décemment l’illustrer par un récit urbain. Cela l’amena à choisir des contrées éloignées et sauvages, qui permettraient de cultiver le paradoxe entre une densité faible de population, un cadre rupestre inspirant la sérénité et, malgré tout, la prévalence de formes de criminalité. L’auteur pensa par ailleurs à la figure historique de Louis Riel, pendu en 1885 pour avoir mené la révolte des métis franco-indiens. Jesuit Joe était né, mais ses aventures seraient détachées de tout message politique explicite. Jesuit Joe est un usurpateur, qui se drape du costume de la Police Montée canadienne, pour infliger la mort selon ses propres valeurs. Son parcours sanguinaire, à l’image du meurtre de sa sœur qu’il justifie comme la sanction de sa condition de catin, fait penser à une personnalité psychopathologique. A moins qu’il ne soit le produit d’une société incapable d’intégrer les personnes qui ne sont pas issues du sérail et dont les préceptes religieux conduisent certains à la folie… On ne saura vraisemblablement jamais quelle était vraiment l’intention de Pratt, mais qu’importe ? C’est précisément l’ambigüité du personnage et les interprétations auxquelles il se prête qui en font un mystère. Cette dimension étrange est de plus renforcée par le fait qu’il s’agit d’un récit inachevé. Le premier épisode, qui se suffit à lui-même et dont la fin laissait place au doute quant à la survie du personnage, date de 1980. Quatre ans plus tard, un nouveau chapitre lui était consacré, mais il ne trouva jamais de conclusion, renforçant la curiosité de cette œuvre, que tous les lecteurs d’Hugo Pratt apprécient à sa juste valeur. Notons que cette édition en propose l’intégralité, assortie de planches (des esquisses détaillées) qui avaient été préparées pour des scènes du film d’Oliver Austen. Un incontournable pour toute bibliothèque qui se respecte !