L'histoire :
Jean-Louis a 18 ans et passe ses vacances d'été en famille, en roulotte, sur les routes de Bretagne. A ce moment-là, il ne le sait pas encore, il vit encore dans l'insouciance des beaux-jours et de la jeunesse. Mais le 5 août 1976 va être une journée décisive pour lui, et pour ses proches. Cet après-midi-là, ils ont un peu traîné, car ils ont passé leur temps à jouer au chairball, un jeu qu'ils avaient inventé lors d'un repas, avec des chaises pliantes et un ballon de plage. Ils ont aussi ramassé et mangé des mûres, la bouche de son petit frère de 11 ans, Gilles, en est recouverte. Il est 21 heures, et le petit convoi quitte Braspart et rejoint la CD14 en direction de St Herbot. Il est assez rare pour eux d'emprunter la route goudronnée, d'ordinaire ils se déplacent sur les chemins de terre. Alors, ils se collent le plus possible le long du ravin, pour laisser la possibilité aux autres véhicules de circuler. Gilles est allongé dans la roulotte, avec un gant humide sur la bosse de sa tête : juste avant leur départ, il avait ouvert un placard et une cocotte-minute lui était tombée sur le crâne. C'est Jean-Louis qui dirige l'une des roulottes, et son frère Domi vient s'asseoir près de lui. Ils sont rejoints par Gilles, qui fait le pitre, et chante à tue-tête une chanson de Michel Fugain. Les garçons n'en peuvent plus de l'entendre, mais cela les fait quand même bien rire. Leur mère pédale juste derrière sur son vélo. Et puis, au bout d'un moment, Gilles en a marre, il annonce qu'il va continuer à pied. Il regarde le fossé, mais celui-ci est trop profond, il va passer de l'autre côté. Jean-Louis attrape le bras de son frère : il faut qu'il fasse attention, il est du côté de la route. Il faut d'abord qu'il descende sur le marchepied, et qu'il regarde s'il n'y a pas de voiture. Mais il n'a pas le temps de regarder. Un drame vient de se produire. Gilles vient d'être percuté par une voiture.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On connaît Jean-Louis Tripp pour ses albums de bandes dessinées, notamment Extases ou Magasin Général. On découvre dans ce nouvel ouvrage un aspect autobiographique et très personnel de la vie de l'auteur, un moment crucial qui l'a marqué de façon indélébile. Il nous raconte la perte de son frère, qui n'avait que onze ans, lors d'un accident en plein été. Il se sentira responsable de ce décès, il était celui qui lui tenait la main lorsque le drame s'est produit. Et puis, il nous raconte tout ce qui s'en est suivi : le délit de fuite du conducteur responsable, la détresse et la tristesse dans laquelle il sera plongé avec sa famille, les obsèques, le procès, la reconstruction. Mais ce qui est également très intéressant, c'est que l'auteur entrecoupe son récit de souvenirs par des passages au présent, lorsqu'il réalise la rédaction de la bande dessinée. Nous assistons à des échanges avec sa mère, avec ses frères et sœurs, pour enfin libérer la parole autour de ce drame, qui a parfois été censurée. Nous vivons avec lui cette épreuve, ces sentiments douloureux, parfois ambivalents, et nous sentons ce poids de la culpabilité qui le poursuit. Graphiquement, il réussit à traduire des émotions qui ne peuvent se décrire, simplement se ressentir. Les teintes de noir et blanc, agrémentées de touches brunes, constituent le cœur de l'ouvrage : comme si la vie insouciante qui a précédé ce drame a disparu. Et puis, sur la fin de l'album, nous retrouvons des planches en couleurs, comme une touche d'espoir, d'acceptation peut-être, en tout cas, un apaisement. Des documents annexes viennent s'incruster dans la narration : dessin, lettre, rapport de déposition. Ils rendent l'histoire d'autant plus vivante, d'autant plus vraie. Un récit percutant et très intime.