L'histoire :
Lorsque le père de Nouredine arrive en France après la guerre d'Algérie, il rencontre un ouvrier des chantiers de St Nazaire, qui se fait fort de lui trouver un job à travers ses relations au syndicat. Mais, lui précise-t'il, « tu vas devoir commencer par le sale boulot ». Le large sourire sur le visage de Lounès est une réponse suffisante. Les deux familles vont entretenir au fil des années des relations amicales et profondes, l'immigration italienne trouvant dans les récentes arrivées de Kabylie un prolongement de l'expérience vécue quelques décennies plus tôt. Gianni et Nouredine sont les jeunes enfants de ces deux familles, deux écoliers fiers et turbulents, amis dès la petite enfance. Ils vont grandir ensemble et se retrouver eux aussi ouvriers des chantiers navals, mais dans un contexte de crise économique qui n'a plus rien de commun avec les trente glorieuses. Gianni va se battre sur des convictions syndicales fortes, Nouredine va devenir de plus en plus radical. Le jeune fils de Kabyle n'accepte rien qui puisse mettre en cause sa fierté personnelle, et réagit avec une grande dureté aux stupides blagues racistes dont il est objet. Cette radicalité est l'objet de vives discussions entre les deux amis. Gianni finit par comprendre que son ami en veut à son propre père pour n'avoir a priori pas montré suffisamment de courage lors du conflit algérien. Mais le passé va progressivement révéler sa grande complexité, lorsque les enfants devenus adultes vont se confronter aux expériences les plus dures...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Baru démontre à nouveau dans cet album son goût pour les chroniques sociales, les milieux ouvriers et le contexte de l'immigration. Depuis plus de vingt ans, il explore un univers personnel plein de relations humaines fortes, évitant le manichéisme en décrivant des situations complexes, des décisions difficiles, des personnalités fragiles et capables de faire des erreurs. Baru, lui-même fils d'immigrés italiens, est une sorte de Ken Loach de la BD, qui se révèle dans ces conversations intenses de deux personnages en tête à tête. Certains échanges entre Gianni et Nouredine sont de cette trempe, mémorables et extrêmement crédibles. Le scénariste-dessinateur n'a pas commis d'erreur en confiant à Pierre Place le dessin de son nouveau one-shot. Ce dernier réussit à apporter son style propre à l'univers de l'auteur. Certains cadrages ont visiblement été travaillés de concert tant ils rappellent le style de Baru, comme cette très belle page 15 qui voit les deux copains courir comme des dératés sur fond de paysage industriel. L'ensemble du récit, avec de nombreux flashbacks, n'est cependant pas de la plus grande fluidité. Il faut un petit effort pour bien comprendre qui est qui à certains moments, du fait de l'absence de toute mise en contexte. Le lecteur trop rapide en sera pour ses frais, condamné à reprendre l'ouvrage avec un peu plus de concentration. Mais ce récit intense vaut un petit effort, pour l'exigence de son propos et la force de caractère de ses personnages.