L'histoire :
Augustin, jeune idéaliste, habite toujours chez ses parents et aime lire les grands auteurs de la littérature comme Victor Hugo ou Lamartine. Il vit de petits boulots par-ci par-là et s’entend très mal avec son père, un homme autoritaire et réactionnaire. Un jour, alors qu’il fait une course dans Paris pour son employeur, il fait la connaissance du jeune Emile. Les deux garçons marchent ensemble, mais Augustin bouscule un vieillard par inadvertance. Le vieil homme insulte les deux garçons, mais Augustin réplique en le traitant de gros bourgeois. Voyant cela, Emile lui suggère de le rejoindre dans un bar où il lui présentera ses amis. Le café est plein et Emile fait les présentations : la belle brune est Lalie, la petite amie d’Emile ; Léon qui fume la pipe ; Louis le barbu ; Honoré l’ébéniste ; son frère aîné Grandjean ; et Lucien Muller dit Lucas. Au départ, le groupe est méfiant. Tous pensent qu’Augustin est riche et ne partagera jamais leurs opinions. En effet, ce cercle forme un groupe d’anarchistes militants et déterminés. Cependant, Augustin rassure tout le monde en montrant qu’il déteste les bourgeois et ceux qui sont à la tête du pays. Il veut absolument s’engager dans un combat contre les inégalités sociales et le pouvoir abusif. Il a même des idées pour lancer le mouvement…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans cette intégrale rééditée de près de 200 pages, on suit pas à pas des personnages hauts en couleurs. Pas moins de dix personnages forment le groupe d'anarchistes et tous sont particulièrement bien identifiés et décrits à travers un dessin clair et précis et des textes brillants de vie et de simplicité. Dans un Paris du XIXème siècle superbement reconstitué, Emmanuel Moynot offre un récit dense et néanmoins limpide. Évidemment, l’album table sur une réflexion politique forte puisque le destin d’Augustin et de ses amis sera marqué par l’engagement anarchiste à cette époque. C’est aussi l’occasion de vivre de l’intérieur ce que pouvait être le quotidien des militants. Leur engagement prend petit à petit de l’ampleur : on passe d’une série de vols dans des grandes propriétés à des tracts et journaux engagés. Ils iront même jusqu’à poser des bombes et assassiner un haut dignitaire. Cette série d’actes va semer le trouble dans le groupe et c'est l’occasion de réfléchir en profondeur sur ce qu’un citoyen peut faire en accord avec ses idées et sa morale. Loin d’être manichéen ou simpliste, Moynot nous fait vivre de l’intérieur ce bouillonnement anarchiste sans être moralisateur. La peinture psychologique des personnages se suffit à elle-même. En effet, beaucoup d’anarchistes vont évoluer et notamment Augustin, qui se découvre petit à petit, avec ses valeurs mais aussi ses défauts. On reste éloigné d’un récit historique ou réaliste, car l’auteur s’attarde beaucoup plus sur les personnages, leurs actions et les conséquences qui en découlent. Il s'agit plus exactement d'une saga où les rebondissements, surprises, drames et joies s’enchaînent au grès des aléas de la vie. Dans le troisième et dernier volume, les choses basculent d'ailleurs, puisque le groupe va se constituer en famille et tente, tant bien que mal, de vivre en communauté. La vision de l’anarchie est ici pleine de subtilité, ni utopie, ni caricature. Le départ se montre enthousiaste devant les convictions et les actions de ces têtes brûlées ; puis petit à petit, les choses se dégradent quand chacun doit faire avec les défauts des autres. L’amour est bien sûr au rendez-vous et se retrouvera un moteur ou un frein à l’action collective. Là encore, la vision de la politique est largement contrebalancée par les sentiments de chacun. Certaines filles ont bien plus de pouvoir sur les anarchistes qu’il n’y parait. Ces tranches de vie si particulières sont passionnantes à suivre, du début jusqu’à la fin. A la façon d’un Emile Zola, Moynot fait vivre toute une série de personnages dans un contexte social difficile et tendu. Le dessin est aussi efficace : cette sorte de ligne claire rend la lecture très fluide et agréable. Une belle intégrale qui allie brillamment peinture sociale, réflexion politique et description de vie.