L'histoire :
Une barque à moteur surchargée de masses humaines vogue dans les eaux méditerranéennes. L’Europe est en ligne de mire. Un cargo passe et secoue l’embarcation de fortune. La nuit est toujours plus opaque, l’éclair déchire le ciel. Une lumière éblouit les candidats à l’exil économique : c’est l’hélicoptère des garde-côtes de la Guardia Civil. Un homme se jette à l’eau et il est emporté par les flots. Il s’appelle Nadim... Maroc, un an plus tôt, Nadim et Rachid discutent sur la jetée de leur bled, occupés à relever un filet de pêche. Leur quotidien, c’est la misère. Rachid a une famille à nourrir : Amina, sa femme, et Amal, sa fille en bas-âge. Il ne veut plus que sa femme aille coudre des sous-vêtements dans la fabrique de ce riche espagnol. À ce qu’il parait, il demande toujours des services. Tout ce qui leur reste, à eux, pauvres marocains sans le sou, c’est de devenir « harraga » (migrant qui prend la mer vers l’Europe). Avec l’argent qu’ils pourront récolter là-bas, ils aideront leur famille et pourront éviter de devenir comme le frère de Rachid, qui traîne avec des barbus. Après tout, les anciens sont bien partis pour aller gagner leur croûte. Pourquoi pas eux ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Vu d’Afrique, l’Europe est la Terre Promise, un Graal absolu. « Vous avez vu la forteresse Europe, avec ses remparts couverts de tessons. S’il y a quelque chose qui mérite une telle protection, c’est que ça doit être précieux ». Là-bas, la misère n’existe pas : « en Europe, c’est un crime d’être pauvre ». Pourtant, quand les migrants se confrontent à la réalité, le paradis s’avère être un enfer. La misère est remplacée par une autre misère. Après avoir réussi à passer entre les mailles du filet des garde-côtes espagnols, Rachid découvre le revers de la médaille. Dans le sud espagnol, il travaille comme ouvrier clandestin sous les serres suffocantes, à produire des fruits et des légumes pour l’Europe entière. Il vit dans des bidonvilles attenants. L’atmosphère est poisseuse, polluée par la violence des surveillants, la propagande incessante des Islamistes, le racisme ambiant. Pour composer ce récit ultra-réaliste, Ville Tietäväinen a réalisé une enquête de fond qui a duré plus d’un an. Du Maroc à l’Espagne, l’auteur a rencontré des dizaines de personnes qui ont témoigné. Il en résulte un pavé dense et noir jeté dans la mare aux préjugés, qui éclabousse à 360°. Tout y passe, rien n’est oublié. Les phrases chocs s’entrechoquent : « Reviens-nous prospère et nous pourrons expier les fautes que la pauvreté nous fait commettre », « Dans le Coran, tout n’est pas noir ou blanc, il y a des couleurs vives ». Le récit se finit en apothéose. Le dessin de l’auteur est dans la même veine, dense et nébuleux, souligné par un encrage épais. Bien qu’intéressant, il pêche par moments par son manque de lisibilité, dû de toute évidence à une colorisation un poil terne. Il n’en demeure pas moins que le livre est une vraie réussite et qu’il gagne à être lu.
