L'histoire :
Le décès brutal de son époux conduit Marie à reprendre, seule, l’unique commerce de Notre-Dame-des-Lacs, un village isolé du Québec rural au début des années 20. Discrète mais active, elle peut compter sur l’aide de Gaëtan, un trentenaire simplet, et sur la solidarité de ses concitoyens trop heureux de voir leur « Magasin Général » continuer de fonctionner. L’arrivée de Serge Brouillet dans la petite communauté bouleverse rapidement les habitudes : chef dans un grand établissement parisien avant-guerre, il transforme chaque soir la boutique de Marie en un coquet restaurant, où chaque habitant a son couvert. Marie est conquise par cet homme sensible et attentionné qui fait à nouveau battre son cœur. Il séduit aussi rapidement les autres villageoises peu habituées à l’expression d’un tel savoir-vivre chez leurs rustres maris. Les époux seront plus difficiles à convaincre, mais Serge finira par faire l’unanimité en démontrant à tous ses qualités de cœur et son inégalable dévouement. La seule ombre au tableau, c’est Marie qui l’essuie : Serge ne répond pas à ses avances et pour lever toute ambigüité, il lui confesse d’ailleurs son homosexualité. Le hic, c’est que tout le monde au village a déjà marié les 2 amis qui cohabitent depuis quelques mois dans la même propriété. Pour tenter de contrarier le destin, l’amoureuse organise même un déjeuner sur l’herbe et tente de voler un baiser au cuisinier. Il la repousse à nouveau délicatement et enterre par là-même une éventuelle idylle. Comme pour l’empêcher d’oublier cet affront, c’est le curé qui insiste en proposant à Marie de fixer des épousailles. N’y tenant plus, elle demande à être entendue en confession et révèle au prêtre le secret qui empêche cette union. L’avenir de Serge à Notre-Dame est alors fortement compromis. A moins que…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A feux doux, dés que l’hiver approche et nous fait les gros yeux, Régis Loisel et Jean-Louis Tripp mitonnent avec maestria un Magasin Général qui fait toujours le même effet : on est repu sans être gavé… Ne le cachons pas plus longtemps, dans ce nouveau chapitre c’est encore le dessin qui se taille la part du lion : on a rarement vu une association aussi judicieuse, une telle complémentarité. C’est à croire que le dessin de l’un attendait dans les starting-blocks celui de l’autre et vice versa. Au trait incisif de Loisel, Tripp répond par souplesse et rondeur, conférant à la géniale mise en scène une douceur pleine d’émotion comme pour dire : « Tout doux mon ami, prenons le temps… ». D’où de subtils cadrages, des regards plein d’humanité, des cases en clair-obscur… La mise en couleur de François Lapierre sale lourdement l’adition au regard de la parfaite mise en lumière du travail de ses ainés : un bijou ! Le scénario a, comme à son habitude, les qualités de ses défauts : une lenteur voulue et savamment instillée qui insuffle à l’œuvre une sagesse infinie. On comprend bien vite qu’à travers la chronique mignonette de cette micro société, les auteurs répandent à louches entières tolérance et générosité. Et tout cela avec simplicité et humour, à l’image des dialogues en VO… Après avoir confronté le village à la reprise d’un commerce par une femme, l’avoir soumis aux mœurs fines et raffinées d’un citadin, le voilà contraint d’affronter l’homosexualité du tout nouvel adopté : une fois de plus, c’est l’Homme avec un grand H qui en ressort grandit. Une belle leçon que nous donnent des rustauds québécois d’il y a presque 100 ans. Avant vraisemblablement de nous en donner une autre dans la prochaine partie…