L'histoire :
L’hiver a de nouveau blanchi le petit village québécois de Notre-Dame des Lacs, mais depuis l’arrivée de Serge un an auparavant, les activités de ses habitants ont bien changé. Si l’on continue à couper le bois, déblayer la neige devant les maisons, apporter de la soupe aux vieilles sœurs Gladu, c’est le plaisir que l’on nourrit avant tout. La soupe se retrouve donc boudée, au profit des délicieux plats de Gaëtan. La lecture de romans s’installe dans la douceur des chaumières, le sexe prend place dans les conversations, les clous se plantent avec avidité, les jeux se partagent joyeusement. L’absence des hommes partis au bois est comblée par la préparation de leur retour, qui ne peut désormais plus s’envisager sans une folle soirée de Charleston. Les femmes préparent leurs robes avec excitation, pendant qu’Alcide fabrique les fameuses chaussures rouges adaptées aux pieds de chacune. Marie s’épanouit dans sa grossesse, enveloppée par la tendre affection de Serge, Noël poursuit la construction de son bateau, aidé par le barbu frère Réjean, qui en oublie la confession mensuelle… A ce rythme, la neige fond peu à peu et les hommes reviennent compléter la petite communauté, qui n’attendait plus qu’eux pour s’aimer davantage.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le voilà, ce dernier tome. On n’était plus très sûr d’y croire, après les étirements successifs de la série. Simplement intitulé du nom du village, l’album clôt l’histoire de ses habitants avec modestie. Jean-Louis Tripp et Régis Loisel choisissent incontestablement le charme de la suavité au piment du drame. Poursuivant leur apologie de l’émancipation, les auteurs démontrent sans niaiserie que le plaisir et l’épanouissement personnels ont pour corollaires l’amour et la chaleur humaine. Libérée de ses institutions politiques et religieuses, la petite communauté vit au rythme de son épicurisme : place à la coquetterie, à la jouissance gastronomique ou sexuelle, à la littérature, la photographie, la danse et au délice de leur partage. Les personnages assument leurs désirs, y compris les plus inavouables, et n’en sont que plus tendres et affectueux les uns envers les autres. Si les évènements malheureux existent, ils ouvrent toujours la porte à une issue favorable : une rencontre, un rapprochement, une naissance... La recette des précédents albums n’a pas changé. La collectivité est embrassée dans son ensemble par un double processus narratif : les actions des personnages coexistent au sein d’une même case grâce à un jeu entre le texte et l’image, ou se succèdent en passant d’un espace à un autre sur une même planche. La lecture, caressée par les couleurs tout en rondeur, varie entre intimité et distance face à ces individus, au gré des dialogues ou des silences. Une cerise cependant sur ce gâteau : pour le grand final, Tripp et Loisel matérialisent dans les dernières pages un grand album de « photographs ». Souvenez-vous, Philomène avait offert un appareil à Jacinthe lorsqu’elles s’étaient rencontrées à Montréal, et l’on apercevait depuis ce temps la jeune fille prendre des clichés de moments choisis. Empreintes de scènes déjà connues ou post-Magasin Général, ces images regroupées et commentées nous invitent à la nostalgie de ce que l’on a partagé avec cette grande famille, et au plaisir de suivre ce qu’ils sont ensuite devenus. On reste donc avec ce dernier opus dans le confort douillet de ce qu’on connaît, on se love une dernière fois dans le velours de leur bienveillance, et on fait nos tendres adieux à toute cette bande de sympas québécois !