L'histoire :
Dans une allocation télévisée, le Président de la République souhaite ses vœux aux français. Il annonce que pour éviter que les émeutes de 2014 et de 2015 se reproduisent, il a décidé d’interdire pour ce réveillon l’accès des centres-villes aux résidents des banlieues. Et que le moindre débordement sera radicalement réfréné. Entendant cela, Kent, noir de peau, balance sa téloche par la fenêtre. Ce genre de blabla ne l’empêchera pas d’emballer, ce soir. Il descend de son immeuble, un bidon d’essence à la main, pour pouvoir utiliser sa voiture. Mais le temps de remonter se laver les mains, on lui a déjà siphonné le réservoir. Or l’unique station du quartier se trouve de l’autre côté d’un boulevard gardé par l’armée comme une ligne frontière. Le voilà obligé de pousser la bagnole jusqu’à la boîte de nuit Karaboudjan. Un pote l’aide jusqu’au parking. Pour le remercier, Kent lui file des capotes (une denrée encore plus rare que l’essence dans le quartier !). Puis il lui propose de garder sa bagnole, le temps qu’il se lève une meuf. Ravi, le pote s’installe dans la caisse et observe. Il aperçoit alors un couple éméché sortir de la boîte et s’engouffrer dans une bagnole à proximité, pour quelques galipettes… Aussitôt, il sort discrètement avec un tube et un bidon, et en profite pour siphonner le réservoir de la bagnole…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Noir propose la réédition de 3 récits en noir et blanc réalisés par Baru dans la foulée de l’Autoroute du Soleil (réalisés entre 1995 et 1998). Le premier récit (voir résumé ci-dessus) nous emmène dans une banlieue française en 2016. La figure de Le Pen initialement placée dans la télé lors de la première édition de 1998, a aujourd’hui été remplacée par celle de Sarkozy. Baru s’en explique sans détour en préface : pour lui, c’est kif-kif-bourricot. Le cœur de l’histoire, prenant pour cadre cette nuit glauque de réveillon, se fait néanmoins plus léger. Le second récit, le plus long (la moitié de l’album), également le plus insaisissable, nous donne à voir une banlieue identique, lors de la même soirée de vœux, mais en 2047. On peine à saisir le propos, à comprendre la démarche, si ce n’est le contexte insurrectionnel, quasi post-apocalyptique des banlieues. On y découvre le pari risqué d’une tête brulée entre les tirs de snipers, puis sans transition le flirt d’un couple, puis sans transition la quête ultime d’autres protagonistes pour dénicher… une capote. En résumé : faites l’amour, pas la xénophobie ! Enfin, le troisième récit n’a rien à voir : il s’agit d’une variation rock sur le thème de Roméo et Juliette, adaptée au climat de la guerre civile en Irlande (en 1996, elle était encore d’actualité). Ce récit était simplement jusqu’alors inédit en langue française. Le point commun entre ces 3 récits : la noirceur, la violence, les banlieues, la mise en garde d’un avenir exécrable… No future. L’outrance pour dénoncer l’extrémisme. Baru n’a jamais eu habitude de faire dans la diplomatie. Son dessin est néanmoins d’une force exceptionnelle, d’une « rage » qui préfigure un célèbre diptyque…