L'histoire :
Août 1914, c’est la mobilisation générale en Europe. Après l’assassinat de l’archiduc austro-hongrois, le jeu des alliances commence. En France, tout le monde est enthousiaste, sauf peut-être quelques soldats qui tremblent de peur et qui n’osent pas l’avouer. Un des soldats français, simple ouvrier tourneur en métaux dans Paris, n’a certes pas son mot à dire, mais il ne la sent pas, cette guerre. Les mamans aussi sont inquiètes et contemplent avec tristesse leurs fils partir dans les trains à bestiaux, comme s’ils n’allaient plus jamais en revenir. En Allemagne, c’est la même liesse : beaucoup s’imaginent déjà sur les Champs Élysées en train d’admirer la beauté de la femme française. Les spécialistes français se montrent rassurants et sont tous persuadés que l’Allemagne n’attaquera pas le nord, puisque la Belgique est neutre dans le conflit. Pourtant, les Allemands passent bien par la Belgique pour attaquer la France. C’est la panique dans les rangs français et Paris est déjà menacée. Notre soldat ouvrier découvre la violence des affrontements. Il doit se battre comme un forcené dans les plaines, handicapé par tout un équipement lourd et des tenues de foire. Tous ses compagnons d’armes meurent en quelques secondes. Par chance, il parvient à s’enfuir. Il n’est pas rassuré pour autant, car il comprend que la guerre est loin d’être terminée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Voici une deuxième réédition de l’intégrale Putain de guerre, initialement publiée en deux tomes en 2008-2009. Il faut dire que l’ouvrage a marqué les esprits avec cette rencontre entre l’historien Jean-Pierre Verney, spécialiste de la première guerre mondiale, et Jacques Tardi qui avait déjà livré C’était la guerre des tranchées. L’association du ton acerbe de Verney et des images chocs de Tardi est détonnant et rend parfaitement compte de l’horreur de la « grande guerre ». En suivant le destin d’un soldat français anonyme, pathétique représentation du soldat inconnu, on suit la guerre mondiale la plus sanglante en pertes militaires. Toutes les grandes lignes du conflit sont traitées : la mobilisation générale, les courtes permissions, les insurrections étouffées dans le sang, les avancées de l’armement, les soldats noirs, les mutilés de guerre. De 1914 à 1919, les auteurs reviennent également sur les plus grandes batailles du conflit avec des noms tristement célèbres : la bataille de Verdun, de la Somme, d’Arras ou du Chemin des Dames. Le propos est particulièrement violent, la voix off est celle du soldat anonyme qui découvre avec horreur la réalité de la guerre. Rien ne nous est épargné : tripes à l’air, corps arrachés, conditions de vie déplorables, massacres à grande échelle. Verney se place dans la position des pauvres soldats et laisse la parole à ceux qui ont vraiment vécu l’innommable. Le langage est très crû et familier (il y a d’ailleurs un lexique de plusieurs pages pour expliquer l’argot des tranchées) et le soldat ne cesse de dénoncer l’absurdité et la violence de la guerre. Le titre est à l’image de l’album : un véritable cri de révolte contre le sang, la bêtise humaine et la haine. C’est aussi l’occasion de réhabiliter la réalité historique : les commandants des opérations en prennent pour leur grade et sont les principaux responsables de ces bains de sang inutiles. On y voit également l’envers du décor et les manipulations politiques pour se servir des soldats étrangers comme chair à canon. Le constat est général et sans appel : le soldat n’est qu’un pion que l’on sacrifie pour une victoire impossible. La violence du propos est doublée d’un dessin inspiré. Tardi n’a pas son pareil pour représenter la boucherie de la première guerre mondiale. Le texte, pris dans des encadrés narratifs mais jamais dans des bulles, est magnifié par un dessin des plus agressifs. Comme pour mieux souligner le choc des formules, Tardi parvient à montrer la guerre dans sa réalité effroyable. Le choix des trois cases horizontales par planche lui laisse toute liberté pour représenter de façon détaillée l’ensemble du conflit. Et le tout en couleurs, cette fois. A noter que les annexes abondantes, rédigées par Verney, sont des précisions détaillées sur tout le compte-rendu de l’album. L’ensemble est simple d’accès et particulièrement traumatisant. Un ouvrage indispensable pour ne pas oublier que l’homme est certes capable du meilleur, mais aussi du pire…