L'histoire :
Un port militaire entouré de bateaux, un singe à la taille variable, des navires de guerre, un océan infini. Enfermée, une femme appelle à l’aide. Des navires ennemis se livrent un combat sans merci. Voilà une guerre marine totale : rondes, ripostes, échecs, fracas des tirs, plongées dans des abîmes inhospitalières. Une princesse à délivrer ? Une quête identitaire ? Une humanité à sauver ? Une histoire de vengeance ? Quelle est la fin d’une telle aventure ? L’essentiel, semble-t-il, n’est pas vraiment de savoir où l’on va. Il s’agit plutôt de vivre l’expérience. Ou quand l’étrangeté est source d’exultation…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sauvetages est le nouvel ovni de la collection Blaise (Cornélius), à la croisée des chemins entre BD, art, littérature… Et de tout ce que vous voulez, en fait. Singeon inscrit son récit dans un semblant de réel pour s’en détacher immédiatement. Face à face, un mot, une image. Sorte de ping-pong narratif entre le signifiant et le signifié, l’auteur utilise la figure du singe, connu pour son agilité, son don d’imitation et sa bouffonnerie, pour interpeller son lecteur. Puis il plonge dans l’eau et les méandres de la psyché humaine pour révéler « une conscience dissipée ». Louvoyant entre réel et fantastique, cette histoire déjantée est en fait un puzzle polysémique qu’il convient de déchiffrer. C’est à un lecteur libre d’en recomposer les morceaux, la cohérence, et de faire émerger un sens. Songe ou réalité ? Folie ou raison ? Beaucoup de questions, mais peu de réponses. Ici, les images échappent à toute (com)préhension définitive, quand bien même les mots voudraient les enfermer dans une signification unique. Tant mieux, car ce couple mot/image consacre la liberté du lecteur en l’invitant, par la suggestion, à créer son propre imaginaire. De l’interaction entre le dessin et le mot doit alors surgir une vérité faite de peurs ancestrales et de passions destructrices. Obscur au début, puis finalement clair comme un coucher de soleil (des relectures seront néanmoins nécessaires pour bien tout déchiffrer), Sauvetages a le mérite de s’adresser à un lecteur ouvert, exigeant et prêt à s’oublier. Certains hurleront à l’imposture, d’autres crieront au chef d’œuvre. Peu importe. Car au final, c’est là un livre beau et stimulant. Justement, saluons le formidable travail d’édition de Cornélius qui, une fois encore, rend toute sa grâce à l’objet-livre : format à l’italienne, bichromie élégante, papier de qualité. Magnifique. On y met un peu tout ce qu’on veut dans Sauvetages : du David Lynch, une relecture de la guerre de Troie, un retour de l’humanité à l’animalité... Alors plutôt qu’analyser, mieux vaut se laisser aller au vertige du dépaysement et prendre le risque de voir ce qu’un tel bouquin peut nous réserver. Ambitieux sur le plan formel, Singeon propose une esthétique de l’évocation franchement barrée. A chacun d’en disposer comme bon lui semble.