L'histoire :
Un train traverse la Pologne sous un ciel bleu. A l'intérieur, des dizaines d'hommes affamés se demandent quelle est leur destination. Les mines de sel ? Pire ? Parmi eux, Tomasz Serafinki raconte l'arrêt du train, la violence de l'ouverture de la porte, les chiens qui se jettent sur les hommes, les coups qui pleuvent. Les SS demandent à l'un d'entre eux de courir, l'abattent puis abattent une dizaine d'autres hommes, au hasard, pour « aide à l'évasion ». Ils lâchent ensuite leurs chiens sur les corps. Les prisonniers sont alors amenés en rangs par cinq à l'intérieur du camp au fronton duquel il est écrit : « Arbeit Macht Frei » (le travail rend libre). Les SS font l'appel, et Tomasz, l'esprit absorbé par une scène de molestation d'un prisonnier à l'écart d'un block, ne répond pas tout de suite. Il est lui-même battu, avant que le commandant du camp prévienne les prisonniers : les rations alimentaires sont prévues pour six semaines, ce qui est la durée de vie d'un prisonnier. Quiconque vivra plus longtemps sera puni… Mais Tomasz a l'esprit ailleurs, car il est là volontairement. Il a une mission…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le rapport W, le vrai, est le fruit du travail d'un officier de cavalerie, membre de l'armée secrète de Pologne, Witold Pilecki. Sous le faux nom de Tomasz Serafinski, Pilecki a pendant 947 jours vécu l'enfer d'Auschwitz. Son objectif était de créer une résistance qui pourrait amener à la rébellion. Il a patiemment tissé une toile d'agents, par unités de cinq, chargés de recruter des résistants intérieurs. C'est l'un des premiers à avoir été informé de la transformation de ce camp en camp d'extermination de masse. Il raconte notamment la première utilisation de chambre à gaz sur une troupe de plusieurs centaines de soviétiques, tellement serrés dans la chambre qu'ils étaient restés debout, entremêlés dans la mort. Le récit est passionnant et glaçant, parfaitement documenté grâce à l'historienne Isabelle Davion qui a donné à Gaétan Nocq ce sujet. Ce dernier alterne de manière magnifique la narration écrite et dessinée. Il laisse une place importante aux cases sans texte, qui sont porteuses de sentiments extrêmes. Le récit en sort renforcé, et le lecteur est littéralement happé par un album qui comporte pourtant plus de deux cents pages, sans compter la postface d'Isabelle Davion, et un magnifique carnet des croquis réalisés par Nocq lors de ses voyages à Auschwitz, encrés à la gouache, ce qui donne une douceur paradoxale à certains lieux. Pour ce qui est du récit, Gaétan Nocq a réduit sa palette au bleu puis aux rouges, et alterne le monochrome, la superposition, le contraste et le dégradé. Le caractère personnel de ce récit à la première personne est rehaussé par ce choix intimiste. Après les bons Soleil brûlant en Algérie et Capitaine Tikhomiroff, Gaétan Nocq livre cette fois-ci un récit parfaitement abouti, où tout est réussi.