L'histoire :
Dans un commissariat, deux flics s’attaquent à l’interrogatoire d’un gros morceau. En garde à vue, Polza Mancini, 38 ans, est plus qu’obèse. Il a été arrêté pour « ce qu’il a fait à Carole Oudinot »… A priori, il s’agit d’un truc horrible. Sa culpabilité est quasiment avérée, mais il faut l’amener à s’expliquer en douceur, de manière subtile, car l’homme est insaisissable et il risque de « se cadenasser ». Le type est effectivement répugnant : chauve, graisseux, un blaire ignoble d’alcoolique et des petits yeux brillants, presque facétieux… Mancini est plutôt bavard et décide de se raconter par le menu. Il explique qu’il souhaite retrouver la sensation de « Blast » qu’il a éprouvé après avoir rendu visite à son père hospitalisé. Après avoir vu sa petite carcasse toute frêle, rendue inerte par la morphine en raison de sa phase terminale, Mancini s’était installé dans une ruelle sordide, pour se gaver de barres chocolatées, de médicaments et d’alcool fort. Il avait alors ressenti un craquement horrible dans sa tête, puis il avait eu l’impression de s’évader par un trou de son crâne et d’entrer en communion avec le monde… un sentiment de liberté et de plénitude totale… qui s’était brutalement éteint. Dès lors, il avait décidé de partir « en marge »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Y’en a marre de bien le noter, Larcenet ! Y’en a marre, mais en même temps, cet auteur culmine tellement sur les cimes de la « nouvelle BD », qu’on s’étonne à chaque nouvel album, de le voir pousser son art encore plus haut. Ce Blast va une nouvelle fois scotcher les fans à leur canapé, produisant le même effet que celui que provoquerait une explosion sur l’organisme, définition originelle de cette onomatopée angliciste. L’histoire nous est entièrement livrée en flashback : le personnage central, à la fois répugnant et hyper sensible, se raconte pour expliquer aux flics son acte barbare (nous n’en saurons guère plus dans ce premier volet). Il nous emmène alors dans une longue introspection, issue d’un mal-être viscéral en amont et de ses réflexions sur le sens de sa vie. Comment il a quitté sa condition pour se mettre volontairement en marge… pour trouver « une alternative à la norme ». Il reconnaît toutefois la vacuité de cet objectif, mis à part cette violente et apaisante sensation de « Blast » recherchée. Ecrivain de profession, l’homme a de l’esprit et du style : il est poétique, lucide, touchant, et force finalement l’empathie. Régulièrement, les flics nous rappellent à notre « civilisation » et à la bestialité du sujet… mais on replonge volontiers sitôt que Mancini reprend son témoignage, comme aspirés que nous sommes par le besoin d’explorer un coin sombre de l’âme humaine. La mise en scène de Larcenet est irréprochable. Ses aquarelles en noir et blanc, deux trois coups de crayons accompagnées de taches grises d’une noirceur ultime, collent à la perfection au sordide poisseux du récit. Ce premier tome épais (200 planches !), sur 5 annoncés, se situe dans la même veine que le Combat ordinaire, même s’il nous emmène bien plus profond, dans les noires abysses de l’être. Epoustouflant !