L'histoire :
Ras-le-bol d’offrir les hurlements de sa guitare, son blues transpirant au « Juke Joint », miteux du trou du cul du Mississipi ! RJ veut voir plus haut, plus fort, plus grand en s’offrant les frisons de la ville. New York, le voilà ! Et si le vent le pousse suffisamment, il aimerait faire glisser ses doigts sur le manche de sa guitare au Dante’s Lodge, le plus fameux des speakeasy du moment... Il reste 30 jours à vivre à la prohibition, lorsque notre jeune virtuose débarque dans « la grosse pomme ». Et il faut croire que notre bonhomme est né sous une bonne étoile puisque, sans même s’en apercevoir, le voilà devant l’entrée du club dont il rêve. Très rapidement, RJ sollicite une audition et c’est Vincenzo en personne, le patron du célèbre établissement, qui accepte de lui prêter une oreille ou deux. Néanmoins, pour corser l’affaire, ce n’est pas avec son propre instrument que le guitariste devra s’exprimer, mais avec une vieille guimbarde à trois cordes et à la caisse trouée. Il ne faut pourtant pas longtemps à RJ pour faire naître sur le visage de Vincenzo une moue admirative. Une de celle qui entrelace dose maximale de plaisir et idée immédiate de gros bénéfices. Pas question pour autant de faire des courbettes au nouveau poulain de son écurie : Vincenzo attend de lui qu’il devienne plus qu’un sublissime technicien. Et qu’il fasse également rapidement le show. Enfin, surtout, qu’il lui soit fidèle à jamais...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Toujours l’année 33, les remugles ou les lumières de New York la Magnifique, les derniers verres de whisky de contrebande, le même manager véreux, la même journaliste canon et le « Dante’s Lodge » enfumé du mafieux Vincenzo… Mais pour cette seconde partie, ce n’est pas la boxe, le jeu de crochets et l’épaisse carrure de Jack Doyle qui servent à mettre en scène Les dernières heures de la prohibition. A la place, et sur la même « timeline », c’est un guitariste de blues virtuose, aussi naïf que son prédécesseur, qui offre ses rêves de gloire et son ascension, au tempo d’un univers élimant magouilles, billets verts, chapelet de coups bas et fin d’époque programmée. Astucieusement, le récit change ainsi d’angle de vue : à son tour Doyle fait de la simple figuration (sauf en fin d’album), tandis que RJ, notre bluesman, passe au premier plan. Aussi, les deux parties du diptyque peuvent-elles être quasiment lues de manière indépendante : la seconde permet simplement (en dehors de la propre histoire de RJ) de compléter quelques pièces du puzzle, de parfaire les portraits et d’offrir un final cohérent. Généreusement et volontairement simple, le scénario s’affaire donc surtout à construire une ambiance. Celle si souvent sublimement portée sur grand écran, universellement fantasmée, qui convoque costumes impeccables, corruption frénétique, misère galopante, musiques endiablées, montagnes de frics et violentes destinées. S’ils voulaient nous piquer de cette seringue-là, Mathieu Mariolle et Mikaël Bourgoin ont joué la partition des dealers géniaux. La mise en scène est impeccable, les personnages parfaitement ciselés et le jeu d’intrigues suffisamment captivant pour nous transporter à ces quelques dernières gouttes de la prohibition. Surtout, ils parviennent à mettre en scène leur amour de la musique, leur lien viscéral au blues et aux virtuoses malchanceux. En particulier grâce à la partition éblouissante de Bourgoin qui, à coups de doubles pages époustouflantes, d’un jeu de contrastes, de cadrages saisissants ou d’une colorisation élégante, réussit réellement à nous faire plonger. C’est bien simple : en tournant la page 23 – et quelques autres encore – on a l’impression d’entendre une guitare pleurer…