L'histoire :
A la fin du XIXème siècle, Constantin Brancusi est apprenti auprès d’Auguste Rodin. Le vieux bougon le prend pour son larbin et lui fait faire et refaire sans cesse des moulages. Il rabâche sans cesse le même discours prémâché : « l’important c’est le mouvement », et puis « c’est l’air qu’il y a autour de la matière que vous devez sculpter ». Brancusi finit par prendre son indépendance et s’installer en tant qu’artiste sculpteur. Vingt ans plus tard, il est un artiste réputé et reconnu à Paris. En 1913, sur proposition de Marcel Duchamp, la Brummer Gallery new-yorkaise accepte de lui consacrer une grande exposition. Brancusi est en effet devenu un maître de l’abstraction et du minimalisme en sculpture moderne. L’artiste organise lui-même la scénographie et il fait le voyage. Mais à l’arrivée aux Etat Unis, les douaniers ouvrent les caisses des œuvres et restent dubitatifs. Ce qui se trouve à l’intérieur, est-ce de l’art ou des produits manufacturés (dont on ignore l’utilité) ? Notamment, la sculpture L’oiseau, représentant une forme longiligne verticale lustrée, est taxée en tant qu’objet industriel importé à hauteur de 4000 $. Brancusi rentre indigné à Paris et intente aussitôt un procès à la douane américaine.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Plus que ses œuvres, le procès « Brancusi contre Etats Unis » en 1913 a largement contribué à la notoriété et la reconnaissance de ce sculpteur d’origine roumaine, élève de Rodin. Il faut dire que ce procès a fait jurisprudence, il a été fondateur pour le siècle qui a suivi, dans le sens où il a posé les bases du périmètre admis de l’art. C’est vrai, après tout : qu’est-ce que l’art ? Si vous rêvez d’un dîner animé entre ami, lancez donc le débat. Dans ce one-shot, Arnaud Nebbache raconte factuellement l’affaire et se livre ainsi à une biographie partielle de Constantin Brâncuși. Il met en scène cela à l’aide d’un trait stylisé, à grands renforts d’aplats en trichromie et de restitution du blanc du papier. Une griffe très personnelle et parfaitement maîtrisée, à défaut d’être grand-public. Les séquences du procès, avec moult interventions de témoins et d’avocats, se présentent sans bordure de cases, comme s’il s’agissait d’un tout. Entre les plaidoiries et les audiences, Nebbache montre souvent Brancusi dans son atelier, qui se livre frénétiquement à son art, habité par son inspiration, dans des séquences muettes qui ressemblent à des respirations nécessaires. Après tout, hormis dans ce cadre judiciaire qui a posé les bases des prêts internationaux des œuvres d’art et qui a beaucoup fait levier sur la reconnaissance de l’art conceptuel, l’art a-t-il besoin d’être commenté ?