L'histoire :
Deux auteurs contestés par leurs propres collègues obtiennent le droit de remplir les « hauts de page » du magazine Spirou, pour quelques dizaines de semaines entre 1980 et 1981. Mais la vie n'est pas simple quand il faut contourner le conservatisme du patron des éditions Dupuis, la susceptibilité de Roger Lepoulp, auteur de Koyo Notsu, ou la colère de Charles Degotte qui n'accepte pas les critiques sur sa mise en page « périmée ». Mais Yann et Conrad persistent, font de la promo pour leur propre série qui n'est pas publiée en album (les Innommables), et répondent à des questions aussi essentielles que « Franquin est-il fou ? » ou « L'alcool remplace-t-il le génie ? ». Le retour de chaque série emblématique du journal est salué comme il se doit, comme celle de l'Agent 212 devenu 213 en prenant un kilo de plus. Quand au public de Natacha, comment expliquer qu'il soit sourd à 95%, quand celui de Koyo Notsu est normal à 99.9 %. Les questions de fond ne sont pas en reste, avec des « Saviez-vous que » qui précisent qu'il est de plus en plus difficile de parler des héros du journal sans vexer personne. C'est ma foi compréhensible...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Bill est maboul, Boule aima Bill. La couverture du deuxième album, hypothétique, est partiellement cachée, mais on devine ce qui se passe entre le personnage et son chien. En un strip, tout est dit sur la portée subversive de l'humour pratiqué par Yann et Conrad lorsqu'ils envahissent les hauts de page du Journal de Spirou au début des années 80. Les deux compères au comble de leur potentiel cynique et dévastateur développent un humour absolument ravageur, souvent très drôle, et très au dessus de la moyenne d'âge du magazine. La compilation de ces strips a déjà été réunie en un album devenu collector, il y a bientôt trente ans. Cette nouvelle édition rend grâce à la qualité graphique du travail de Conrad, son rôle de nouveau dessinateur d'Astérix étant bien sûr l'occasion rêvée de republier cette œuvre de jeunesse déjà incroyablement mature techniquement. On trouve ici tout ce qui inspirait le jeune dessinateur surdoué de l'époque, fan de Franquin qui rêvait d'introduire une dose de trash dans le style franco-belge. Certains des gags sont devenus obscurs avec le recul, lorsqu'ils concernent des séries que seul l'amateur éclairé a gardé en mémoire (Boulouloum et Guiliguili, Godaille et Godasse). Mais la plupart sont incroyablement provocateurs, comme tous ceux concernant le Génial Olivier de Devos, une série ancienne et traditionnelle que les deux compères démolissent sans la moindre précaution, le Yoko Tsuno de Roger Leloup, ou l'abattage scénaristique de Raoul Cauvin. Un jeu de massacre réjouissant, dont on ne comprend pas vraiment comment il a pu passer le cap de la publication dans un hebdomadaire emblématique de la BD traditionnelle. Il révèle en tout cas que l'histoire de Spirou est faite de périodes très différentes, parfois très avant-gardistes. Il passionnera l'amateur éclairé, mais laissera un peu froid le lecteur qui n'aurait pas baigné un tant soit peu dans les séries mythiques de l'hebdomadaire à l'époque. Un recueil toutefois nécessaire.