L'histoire :
Tout « commence » un matin de janvier 2008, lorsque Tristan Thil prend son café. Le flash-info qu’il entend évoque en effet le projet de fermeture, d’ici avril 2009, du site de Gandrange, un des hauts-fourneaux de l’industrie française. Né à Metz, Thil connait parfaitement la problématique sidérurgique lorraine. Or là, on ne parle plus de restructuration, mais carrément de fermeture. Il a déjà vécu l’abandon de ces monstres de fer, dans d’autres usines. Il s’est baladé plus tard dans leur ventre de métal rouillé. Il a vu des sites de production transformés en musée et des anciens sidérurgistes expliquer aux gamins le travail qu’ils faisaient, sans qu’ils ne les comprennent vraiment. Aujourd’hui, il veut participer à ce devoir de Mémoire. Et si Gandrange ferme, il faut faire vite. Il décide d’aller sur le terrain pour filmer les visages de ces « derniers » et enregistrer leur voix. Il est accueilli à Gandrange, filme le travail à l’usine, assiste aux promesses du Président Sarkozy puis constate la fermeture et la suppression de 576 postes…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
De Gandrange en 2008 à Florange en 2012, caméra et micro tendus, Tristan Thil – un gamin du pays – a été l’un des témoins « privilégiés » de la fermeture de deux des derniers sites de hauts fourneaux de la sidérurgie française. Arcelor Mital en point de mire, des plans sociaux en coup de massue, une mobilisation syndicale forte, un relais médiatique feu de paille et la ronde des politiques (en mal de votes…) à son chevet, auront construit l’inéluctable : le pillage organisé d’un savoir-faire, la victoire définitive du raisonnement financier et la mise à terre d’une région autrefois surnommée le « Texas Français ». Direct prolongement de plusieurs films documentaires (Florange, dernier carré, Florange, l’acier trompé et Triche industrielle qu’il faut absolument zyeuter !), ce reportage dessiné met en scène ce combat perdu d’avance. On y retrouve les piquets de grève, les face-à-face dans le bureau du patron, les espoirs, les belles promesses en forme d’impuissance et le personnage d’Edouard Martin, leader charismo-médiatique CFDT aujourd’hui devenu député européen. Sous l’angle uniquement informatif, l’exercice enrichit copieusement notre besace en allant au-delà de la simple séquence du JT, qui constituait sans doute la principale vision de la problématique par la plupart d’entre nous. Et met également en perspective la grosse question du devenir de l’industrie française. Mais là n’est pas l’essentiel, ni le plus intéressant. Thil humanise son récit. Il trouve le ton juste, en relayant une large palette d’émotions, principalement liées au sentiment de vol vécu par les ouvriers ou les habitants de la région. Pas le vol de l’outil, même pas celui de leur boulot, mais celui des valeurs, leur richesse : ce qu’ils ont appris dans ce monde rude « en termes de solidarité, de générosité, de fraternité, de partage ». Et puis surtout, il laisse planer en filigrane une question essentielle : sait-on (peut-on) encore se révolter ? Difficile donc de ne pas adhérer à l’exercice, de ne pas vibrer de la corde empathique (d’autant que Tristan Thil entrelace ses douleurs personnelles au récit) au rythme d’une partition graphique fraîche qui allège le propos sans le caricaturer.