L'histoire :
Dans une grande salle du musée des Beaux Arts de Bruxelles, un homme reste quasiment immobile devant un tableau, tandis que derrière lui les visiteurs se succèdent. Lorsqu'il referme son manteau pour prendre la direction de la sortie, il salue le guide qui surveille la salle et lui sourit. La dame de l'accueil l'appelle par son nom. Tous deux savent qu'il reviendra la semaine prochaine. Lorsqu'un peu plus tard il prend un auto-stoppeur en revenant de Paris, ce dernier est surpris de constater qu'il a fait le trajet depuis la capitale belge uniquement pour aller visiter le musée d'Orsay. Très peu bavard, le conducteur est encore totalement absorbé par la beauté du nu féminin, l'infime précision des détails du tableau qu'il a longuement observé. Et lorsqu'il remonte les escaliers de son immeuble, il décline une nouvelle fois l'invitation de sa voisine du rez de chaussée à venir boire un verre chez elle. Car arrivé chez lui, Hubert s'emploie à transférer sur son PC portable les photos des tableaux qu'il a vus. Assis devant un chevalet, il va continuer la reproduction du tableau sur laquelle il travaille patiemment. Lorsqu'il s'interrompt quelques instants, il voit par la fenêtre la demoiselle d'un appartement qui n'a pas fermé ses rideaux, et qui semble aussi belle que les modèles de ses tableaux préférés, lorsqu'elle arrose ses pots de fleurs...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'immersion dans cet album est une immense surprise pour le lecteur qui aurait l'habitude de se lancer sans préparation dans une nouvelle histoire. Il faut plus de six pages à Hubert pour quitter la salle du musée, après avoir très patiemment traversé les couloirs, son manteau et son écharpe rouge sur le dos. L'auteur belge Ben Gijsemans impose d'entrée de jeu un tempo totalement surprenant, plus lent encore que les pages contemplatives de Taniguchi. Si bien que lorsque Hubert rentre chez lui et qu'on découvre quelques éléments de sa vie privée, ils prennent la dimension d'une révélation extraordinaire. Dès lors, on s'adapte au rythme imposé par le très jeune auteur belge, et l'expérience prend toute sa dimension. Immersive, pour tenter de comprendre ce qui motive profondément ce monsieur-tout-le-monde copiant les portraits de femmes de tableaux qu'il aime. Pleine de curiosité, pour cette extraordinaire narration qui force le trait contemplatif, dans un style graphique réaliste très maîtrisé. Gijsemans réalise la plupart de ses pages en neuf cases régulières, qui se succèdent parfois comme les dessins d'un film d'animation. Lorsqu'il propose une page presque vide avec, dans une case centrale, une jolie jeune femme à sa fenêtre, le message est d'une extraordinaire puissance. Il n'oublie pas de surprendre avec une conclusion totalement inattendue, qui provoque irrémédiablement l'envie de retourner au tout début de son récit pour mieux l'apprécier. Un premier album très osé mais parfaitement structuré, pour un artiste complet d'à peine 25 ans. Une très belle surprise.