L'histoire :
Ersin Karabulut est né et a grandi à Istanbul, la plus grande ville de Turquie. Il a toujours su qu’il voulait devenir dessinateur. La Turquie, entre l’Asie et l’Europe, un pont jeté entre l’orient et l’occident. Ses deux parents sont instituteurs, mais la situation financière n’est pas terrible. Alors son père réalise des petites peintures pour boucler les fins de mois. Ersin a donc toujours du matériel à disposition. Il s’est mis en tête que c’était pareil pour tout le monde et que tout le monde dessinait une fois rentré à la maison. Avec ses camarades, il joue à lancer des pièces sur des BD. Si la pièce rebondit, elle revient au propriétaire de la BD ; dans le cas contraire, le lanceur-gagnant repart avec la BD et la pièce. Il récupère toutes les BD qu’il trouve et les restaure soigneusement. Il remarque que, dans les BD de Tintin, certaines parties de cases sont impeccablement dessinées et d’autres bâclées. Il comprendra plus tard que les éditeurs turcs éditent sur un format plus grand et n’hésitent pas à élargir les cases et à remplir les espaces blancs. Il est temps qu’il mette un pied dans cette profession. Ses parents tentent de l’en dissuader dans un premier temps. Plus personne ne veut acheter les dessins du père. Ceux qui s’intéressent à l’art habitent dans d’autres quartiers, financièrement inaccessibles pour eux. Un soir, son père l’envoie acheter de la bière. L’épicier emballe soigneusement chaque bouteille pour ne pas que l’on voit que c’est de l’alcool. Mais Ersin trébuche sur le chemin du retour et les bouteilles tombent. Il est blessé, son père le soigne et lui propose une gorgée de bière de la seule bouteille rescapée. Il lui explique que leurs voisins sont des dévots et comme l’alcool est prohibé, ils doivent être prudents s’ils ne veulent pas d’ennuis. Il lui raconte alors la Turquie à la fin des années 70 : elle était alors à feu et à sang, un climat de suspicion permanent régnait, permettant ainsi aux groupes mafieux d’occuper le terrain...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après le succès manifeste des contes édités chez Fluide Glacial (Contes ordinaires d’une société résignée et Jusqu’ici tout allait bien), l'auteur turc Ersin Karabulut revient avec son Journal inquiet d’Istanbul, une série autobiographique annoncée en 3 volumes, chez Dargaud cette fois-ci. Dans ce premier tome, deux fils conducteurs guident le lecteur. D’une part, il explique comment est née son envie de devenir dessinateur de BD, et la manière dont il a concrétisé son rêve en travaillant pour des journaux satiriques turcs. Il décrit aussi son enfance dans un quartier populaire, fait part de ses doutes, puis affirme ses choix. D’autre part, il présente les différents régimes politiques turcs dans lesquels il a grandi avec toutes les tendances et mouvements qui ont bousculé la Turquie ces dernières décennies, ballottée entre laïcité et extrémisme, depuis la montée au pouvoir d’Erdogan. Karabulut décrit parfaitement les émotions et les sentiments dans un scénario fluide et bien mené où se mêlent simplicité et précision. Il sait capter l’attention de son lecteur, qui suit avec avidité le parcours de cet auteur engagé. Aucune page ne se ressemble et l'ensemble offre alors un découpage dynamique et varié. Il alterne entre son trait réaliste et la marque de son identité graphique, un trait plus caricatural parfois. Enfin, l’équilibre des couleurs est harmonieux, marquant bien les différents moments qu’il tient à souligner. Cette première partie est intéressante et addictive. Gageons que les deux tomes suivants seront aussi passionnants.