L'histoire :
Dans un intérieur modeste, un père de famille fait sa valise, prenant soin d’emballer précautionneusement un cadre, dans lequel il pose avec sa femme et sa fille. Il lui faut partir, « en éclaireur », dans le but de trouver une meilleure conjoncture politique et sociale que celle qui régit leur quotidien. Le quai d’une gare, un train, un dernier au-revoir… Les adieux sont déchirants. Ils sont nombreux comme lui, sur le paquebot, à faire ce long voyage dans de chiches conditions. Enfin, la terre d’accueil est en vue : gigantesque, moderne, nouvelle, libre !... mais inconnue. Dès l’arrivée, en compagnie de centaines d’autres, il doit subir de nombreux tests. Eprouvante, cette phase est destinée à mieux orienter tous les migrants dans ce monde bien organisé. Un papier officiel à la main, tamponné comme il faut, le voilà en route à travers un paysage urbaine dantesque et énigmatique, vers sa « zone d’affectation ». Dès lors, il doit tout apprendre des rouages de cette société. Réapprendre à communiquer, à acquérir son autonomie… à vivre !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Attention : en parcourant cet ouvrage, vous risquez de vous prendre une baffe magistrale. « Parcourir » est le verbe adapté, étant donné qu’il n’y a dans l’album ni phylactère, ni texte. Les personnages s’expriment en effet par gestes ou à l’aide de symboles bizarroïdes, incompréhensibles. Le héros lui-même utilise un cahier pour communiquer, sur lequel il représente ses désidératas : le dessin semble bien être un langage universel. C’est en tous cas ce que prouve Shaun Tan, en s’adressant d’une commune manière à tous les peuples du monde ! Le souci d’universalité transparait jusqu’aux traits du visage du héros, ni franchement européens, ni tout à fait asiatiques. Par là-même, l’auteur fait une démonstration conséquente de la puissance évocatrice du médium bande dessinée. L’intention de Shaun Tan, auteur australien d’origine malaise, est de raconter l’histoire des réfugiés politiques, les raisons qui poussent les immigrés à quitter leurs racines. Pour que le propos soit juste et universel, Shaun Tan emprunte astucieusement le biais de l’ésotérisme. Allégorique, sa vision du monde moderne et libre est totalement fantasmagorique : les bâtiments sont disproportionnés, l’urbanisme nous paraît – à nous autres, occidentaux habitués à la démesure – improbables… Cela doit pourtant être très proche, par exemple, de ce qu’éprouverait un bushman qui n’a jamais quitté son village du Kalahari, en voyant Beaubourg ou la tour Eiffel pour la première fois. Le découpage séquentiel est simple et fluide, le dessin réaliste et détaillé d’une grande douceur, entièrement réalisé à l’aide des teintes noir, blanc et sépia… Le ressenti à la lecture de ce récit silencieux est saisissant. Shaun Tan parvient parfaitement à communiquer la sensation de déracinement, la plongée au cœur d’une civilisation fondée sur des mœurs et des techniques radicalement nouvelles. La détresse du héros est communicative, quand bien même tous les gens qu’il rencontre s’avèrent ouverts et bienveillants (ce qui n’est pas vraiment le cas dans nos chouettes pays occidentaux…). Un chef-d’œuvre universel et intemporel, qui a nécessité 4 années de réalisation, justement récompensées par un prix au World Fantasy Award de Montréal (2001).
Pour en savoir plus sur l’auteur : www.shauntan.net