L'histoire :
Dans l’ancienne zone est d’une ville de Berlin écrasée par la chaleur, la mystérieuse Léna rend visite à un homme tout aussi énigmatique. Un buste de Lénine trône sur le buffet, il s’agit d’un ancien dignitaire du régime socialiste. L’échange est bref et courtois. Une liste de contacts lui est remise, qu’elle se met aussitôt à apprendre par cœur. Elle repart, prend le temps de se baigner nue dans un lac et reprend sa route en transports en commun, direction Budapest. Là-bas, un nouveau contact, plus bourru, plus grossier aussi. Elle lui remet une boîte-cadeau de pâtes d’amande viennoises. Explicitement, elle lui désigne à l’intérieur la seule sucrerie verte, au contenu « utile ». Puis elle repart encore, passant la frontière avec la Roumanie, à destination d’une petite ville où l’attend un troisième rendez-vous. Elle lui remet un flacon de parfum, lui aussi fort précieux. Puis elle repart sur le Danube jusque Kiev, en Ukraine, où elle remet à un nouveau contact une fausse mallette d’insuline… A quelle étrange distribution se livre donc cette jeune femme ? D’où lui vient cette triste détermination qu’elle a dans les yeux ? Chaque nuit à ses côtés, un cadre sur lequel sont représentés un homme et un enfant, la plonge dans un profond désespoir…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les motivations qui poussent Léna à effectuer ce long voyage demeurent secrètes pendant deux bons tiers de l’album. De manière répétitive, elle s’affranchit d’une étrange distribution de manière très linéaire, sans autre explication. Sans trop en révéler, on comprend néanmoins rapidement qu’il s’agit d’une mission d’espionnage, dans laquelle le terrorisme international actuel vient se mêler aux vieux fantômes du bloc communiste. L’héroïne trimballe avec elle une profonde nostalgie, que l’on soupçonne être à l’origine de sa détermination. Cette tristesse intime, ce passé douloureux qu’elle tente visiblement d’exorciser, trouve un écho subtil dans l’ambiance de désuétude qui plane sur ces sociétés en pleine reconstruction d‘identité. Finalement, le cœur de l’intrigue importe peu : il semble avant tout un prétexte pour faire voyager Léna à travers l’Europe de l’est. Pour nous faire partager son goût de la géopolitique et des voyages, Pierre Christin s’est allié à André Juillard, l’un des derniers dessinateurs de BD qui utilise avec talent la « ligne claire » chère à Hergé et à Jacobs (il est d’ailleurs l’un des nouveaux dessinateurs de Blake et Mortimer). Les auteurs sont même allés jusqu’à faire le périple eux-même jusqu’à Berlin, pour mieux en restituer l’ambiance. Le résultat est élégant, les ambiances sont fortes, juste peut-on reprocher des faciès un peu statiques laissant peu de place aux expressions. Hommage à « l’école Franco-belge » classique, ce one-shot racé ravira les nostalgiques de l’époque Tintin…