L'histoire :
Brodeck a juste prévu de venir chercher un morceau de beurre à l'auberge du village. Mais lorsqu'il arrive sur place, tous les hommes regroupés forment un bloc tourné vers lui. Le seul qui manque à l'appel est l'Anderer, celui qu'ils appelaient « l'Autre » depuis son arrivée au village. Un homme différent, qui observait les animaux, qui sondait avec force les regards et les âmes. Qui dessinait des choses inutiles, qui se comportait comme personne avant lui ne l'avait fait. Brodeck comprend immédiatement que l'Anderer n'est plus, que les hommes rassemblés ont commis l'irréparable. Ils lui demandent alors de prendre en charge le récit de ce qui s'est passé. Lui, dont le métier est de rédiger des rapports sur la faune et la flore pour son administration, va rédiger le document qui devra relater les faits, innocenter les coupables, faire admettre l'inimaginable. A son retour chez lui, Brodeck est silencieux, tentant de rassembler ses sentiments et se demandant comment il va pouvoir écrire et justifier ce qu'il ne comprend pas. Dans les jours qui suivent, il va petit à petit approcher les habitants pour tenter de regrouper des bribes d'information. Les souvenirs des années passées en camp de concentration quelques années plus tôt lui reviendront sans cesse à l'esprit. Les tortures subies, les prisonniers exécutés, et la lâcheté nécessaire pour faire partie de ceux qui survécurent...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Manu Larcenet est un grand écrivain. Un auteur moderne qui donne une vision intemporelle des tréfonds de l'âme humaine. Qu'il ait choisi de s'exprimer à travers la bande dessinée est une chance pour ses lecteurs qui, petit à petit, l'accompagnent dans un parcours créatif sans équivalent. Des premiers pas humoristiques et cyniques, à l'introspection touchante du Combat Ordinaire, il y avait déjà un trajet peu commun. Mais l'auteur a démarré une nouvelle période de son travail, sombre et violente, froide et au delà de la morale, dont une étape marquante fut Blast. Un choc total auquel il est impossible de rester insensible. Le Rapport de Brodeck n'est en rien une suite de Blast, car Larcenet y franchit un nouveau palier, graphique et narratif. Dans un style désormais réaliste, il offre des pages sombres pleines de plans fascinants, profils menaçants d'un groupe de personnages ou silhouettes d'arbres dans l'obscurité froide. La première claque est donc visuelle, avec la série de pages muettes qui ouvrent l'album, alors que Brodeck approche de la taverne. Des aplats noirs traversés de griffures, des visages silencieux et menaçants. Le roman de Philippe Claudel dont l'intrigue fascine par sa portée philosophique est un terreau favorable pour Larcenet, qui parvient à situer les pensées du personnage dans un univers visuel très personnel. Il développe un contexte et une atmosphère propres, utilisant pleinement l'espace que lui donne ce premier tome de 160 pages. Formidable liberté qui permet de créer un genre narratif unique, un livre dont les dialogues ou la voix off constituent le cœur absolu, mais dont chaque dessin a pourtant une force unique. Du grand art.