parution 12 juin 2020  éditeur Dargaud  Public ado / adulte  Mots clés Mondes décalés

Les Ombres

Un exilé raconte le périple tragique qui l’a amené à quitter sa terre, à fuir l’horreur et à traverser les frontières, vers un ailleurs indéfini. Réédition d'une allégorie virtuose et introspective sur la problématique de l’exil (politique).


Les Ombres, bd chez Dargaud de Zabus, Hippolyte
  • Notre note Yellow Star Yellow Star Yellow Star Yellow Star

    CHEF D'ŒUVRE   Green Star Green Star Green Star Green Star

    TRÈS BON   Green Star Green Star Green Star Dark Star

    BON   Green Star Green Star Dark Star Dark Star

    BOF. MOYEN   Green Star Dark Star Dark Star Dark Star

    BIDE   Dark Star Dark Star Dark Star Dark Star

  • Scénario Yellow Star Yellow Star Yellow Star Yellow Star

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  • dessin Yellow Star Yellow Star Yellow Star Yellow Star

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©Dargaud édition 2020

L'histoire :

Un individu habillé d’une toge blanche attend isolé dans une salle d’interrogatoire sombre, tourmenté par des ombres qui le culpabilisent. Un gros bonhomme entre enfin et le somme de s’expliquer sur « son histoire ». Il commence par le début : des hommes ont fracassé sa porte, l’ont tiré par les pieds dans la rue, où d’autres gens étaient massacrés. Lui a pu s’échapper et dès lors, il a été en exil. Il hésite sur la version qu’il doit donner. Doit-il dire la vérité au risque de pâtir d’un jugement peu favorable sur son cas ? Ou travestir ce qu’il a réellement fait et déshonorer la mémoire des morts qui l’habitent ? Il choisit la vérité. Il reprend : il vient du « Petit Pays », là où les richesses du sol-sol ont amené des mercenaires à « faire le ménage » pour le compte des dirigeants. C’est pour échapper à leurs machettes qu’il a du fuir, en compagnie de sa petite sœur. Au début, ils ont intégré une cohorte d’expatriés… puis suite à une énième attaque des mercenaires, ils se sont retrouvés seuls à travers la forêt. Ils y sont tombés entre les griffes d’un « ogre civilisé », c’est à une dire une sorte de gros et puissant américain qui, au lieu de manger les enfants, les exploite dans une usine de jouets. Avec deux autres ouvriers, ils sont alors parvenu à faire dérayer la chaine de production en la poussant à l’extrême. Puis ils en ont profité pour s’évader, avec l’espoir de rejoindre une frontière…

Ce qu'on en pense sur la planète BD :

A l’origine, les Ombres était une pièce de théâtre écrite par Vincent Zabus et jouée par la Compagnie des Bonimenteurs. A travers ce texte, Zabus abordait la question de l’exil et de l’émigration forcée pour les africains. Aux côtés du dessinateur Hippolyte, il a eu envie d’aller plus loin et de tout réécrire, en une version one-shot plus aboutie sur le fonds et… sublime dans la forme. Le résultat est cet épais chef d’œuvre de 175 planches, une tragédie humaine prenant une dimension allégorique. En effet, ici, aucun personnage n’a de nom, ni même de traits de visage. A la fois victime et coupable, le héros expatrié lui-même arbore une sorte de masque rituel, comme si la thématique était trop universelle pour pouvoir focaliser sur son identité propre. On comprend rapidement qu’il a été contraint de fuir sa terre d’origine pour échapper à une mort certaine. On nous dit vaguement qu’il s’agit d’une sordide histoire de ressources minières et de mercenaires jouant de la machette… Mais peu importe la cause spécifique, seule compte la problématique finale : l’exil. Et l’exil désespéré, sans espoir d’un meilleur possible. L’exil jonché d’obstacles fatals. Car le héros a certes des compagnons de route – peu chaleureux – qui se transforment en ombres accompagnatrices, à mesure qu’ils tombent au champ d’honneur. Depuis ce point de vue aux contours flous et largement teinté d’onirisme, la condition humaine est kafkaïenne. Les êtres subissent, se laissent rebondir par les coups du sort en tentant d’y survivre, jusqu’au prochain, sans jamais avoir le choix. Certes, Zabus dénonce sans donner de solution… et c’est la seule limite de l’ouvrage, à tous points de vue remarquable sur le reste. Car de son talent consommé pour le 9ème art, Hippolyte transcende véritablement le propos, de par ses astuces séquentielles, son rythme de narration lent, ses ambiances, sa lumière ou ses partis-pris allégoriques (l’ogre civilisé, le labyrinthe administratif, le chant des sirènes, le passeur à forme de serpent…). Sans aucun doute, voilà l’un des tout meilleurs romans graphiques de l’année 2013... aujourd'hui réédité par Dargaud, à l'occasion de la sortie d'Incroyables !, par les mêmes auteurs.

voir la fiche officielle ISBN 9782205086249