L'histoire :
Dans le Pérou du XVIe siècle, Apoo est un indien chasqui, un messager royal chargé de courir à travers l’empire Inca pour transmettre les nouvelles. De par sa fonction, il est robuste et solitaire, et préfère souvent la compagnie des paysages à celle des hommes, contre lesquels il s’énerve facilement. La compagnie qu’il tolère le plus facilement, est encore celle de l’ermite K’anchay, une sorte de vieil oracle qui habite à l’écart dans une grotte de la montagne. Ensemble, ils boivent de chicha et K’anchay se laisse aller à ses présages. Or, ses dernières visions sont on ne peut plus obscures : il voit avant tout le monde l’arrivée des Espagnols et le déluge de feu et de sang qui va s’ensuivre. « Le monde dans lequel nous vivons touche à sa fin ». En 1532, sur la côte nord du Pérou, les conquistadors casqués et armés débarquent effectivement. Les autochtones prennent tout d’abord ces hommes de couleur claire, arrivés par d’immenses radeaux de bois, pour des dieux. Les messagers se relaient pour prévenir l’Inca Hatahualpa. Certain de sa suprématie, ce dernier laisse passer les espagnols jusqu’à lui alors que ses indiens auraient eu mille occasion de les décimer… et il se fait piéger. Les conquistadors l’emprisonnent et réclament des monceaux d’or pour sa libération. Les indiens s’exécutent et apportent la rançon des 4 coins du pays, à dos de lamas. Hélas, Pizzaro le traitre ne le libérera pas pour autant. Les sacrifices rituels de lamas ou d’enfants, se multiplient dans tout le pays pour amadouer les dieux. Apoo lui, n’a qu’une obsession : rejoindre sa sœur Awacha qu’il n’a plus vue depuis longtemps, enfermée dans la Maison des Vierges de Cuzco, au service de l’Inca…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans la lignée de l’excellent diptyque la nuit de l’inca (avec Fabien Vehlmann), Franz Duchazeau réemprunte une époque et un cadre qui l’inspirent apparemment, cette fois (et pour la première fois) en tant qu’auteur complet. Ce faisant, l’éditeur Dargaud inaugure un nouveau format d’édition, un petit format souple et épais, non « balisé », idoine en tous cas pour accueillir ce type de récit d’auteur en one-shot. Le sujet est sombre et grave : il s’agit de l’expansionnisme féroce et implacable des conquistadors au Pérou. Duchazeau ne cherche pas à retranscrire de manière linéaire et exhaustive les évènements qui conduisirent à la chute de l’empire Inca. Il nous place ici du côté des indiens face à ce bouleversement en perspective, et nous livre cette atmosphère d’apocalypse à travers le ressentiment d’un indien lambda. La perspective est intéressante mais étalé sur 166 pages, elle tourne un peu en rond. On comprend vite que son héros Apoo prend la mesure du chaos, à travers ses visions ou via les échos qui lui parviennent au fil de son voyage vers Cuzco. Le choix de la distanciation avec l’horreur ne convainc néanmoins pas pleinement. Pourtant le style graphique tourmenté noir et blanc, accorde toute la dimension d’ignominie à cet atroce épisode de l’Histoire. Les encrages tantôt hachés, tantôt poudrés, « charbonneux », plus proches de la suggestion que du détail, sont lugubres à souhait. Un cauchemar, hélas véridique…