L'histoire :
Le cinéma ne serait-il qu'une « supercherie suprême », la « poésie fruste du XXème siècle » ou pire encore, « du théâtre en conserve » ? S'interrogeant sur le 7ème art, l'auteur Blutch s'est offert un voyage au pays de ses idoles de jeunesse, acteurs et réalisateurs mélangés, sans oublier quelques chefs d'oeuvres : il rencontrera l'imposant Michel Piccoli dans un train en partance pour Bunuel, faisant étapes à Godard, Carax, Renoir, Malle, Demy, et même à Hitchcock... Où s'arrêtera-t-il ? On ne le sait guère. Avant, il aura rencontré Godard le rachitique et se réincarnera en lui lors du clap final... Ce sont des femmes aussi, objets de désir infini, mais jamais de mépris. C'est Orson Welles expliquant que le danger du cinéma, c'est de tout voir. Or, le mieux est encore de faire affleurer des choses qui ne sont pas visibles... Le cinéma, c'est peut-être « la bourgeoisie industrielle qui avance masqué » ou plus poétiquement, « un filet à papillons pour attraper les petites filles ». Plusieurs séquences et un amour éperdu des 24 images-seconde. C'est l'histoire d'un âge d'or, une certaine idée du cinéma qui a disparu, faite d'acteurs charismatiques avec des gueules et du talent. Cet objet incarné a peut-être laissé la place à « un art illustratif, déclamatoire et, pire que tout, sentimental »...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Auteur à part, inclassable diront certains, Blutch revient avec un nouvel album dans lequel il se met en scène, aux côtés de monstres sacrés du 7ème art (Godard, Welles, Piccoli, Peckinpah...) et face à une femme prise au piège des sentiments. Le 7ème art n'est-il qu'un « produit culturel » ou bien « un accélérateur de particules » ? Blutch s'interroge sur le cinéma, sur son art mais aussi sur lui-même. Affectant de mépriser ce qui en réalité le passionne (ou l'a passionné), Blutch fait son cinéma en fantasmant son autobiographie, tout en rendant hommage aux films, acteurs et réalisateurs qui ont un jour peuplé son imaginaire de jeunesse. Ce cinéma, il l'aime d'autant plus qu'il n'hésite pas à poser sur lui un regard critique, accusé de n'enfanter qu'illusions et gloire éphémère, incapable d'apporter des réponses. Et si tout cela n'était qu'une mascarade ? Railleur ou rêveur, comique ou tragique, Blutch témoigne encore une fois d'un talent d'écriture hors-pair, doublé d'un coup de pinceau virtuose, plutôt réaliste et aérien, léger et charbonneux, en tout cas parfait techniquement et plein de grâce. En point d'orgue, une scène du Mépris de Godard, illustrée, rejouée et interprétée par Blutch, confondante de sincérité et de beauté. Si les jeunes lecteurs s'ennuieront légitimement face à ces références datées, Blutch n'en livre pas moins une excellente partition, visuellement puissante. Voilà un vibrant hommage au 7ème art teinté de nostalgie, mais aussi une réflexion en creux sur la BD, cet art qui lui permet encore aujourd'hui « d'opérer un enchantement », de suggérer l'invisible ou l'ineffable. Une pellicule de plus à une œuvre irréprochable. Espérons que Blutch n'en a pas fini avec le 9ème art...