L'histoire :
Cet été 1992 commence tranquillement pour Salim, avec des vacances chez sa tante d'Alger pendant que ses parents sont partis travailler en Espagne. Des balades quotidiennes avec ses cousins en bord de mer, malgré la présence d'oursins et d'algues glissantes qui rendent l'accès à l'eau très difficile. Mais la rumeur qui court la rue et les fait rentrer chez la tante va tout changer : le président Boudiaf a été assassiné en plein discours, probablement en raison de sa volonté de faire le propre dans certains clans proches du pouvoir militaire. L'état d'urgence sera proclamé quelques semaines plus tard, dans une société qui avait interrompu le processus électoral au cours duquel les islamistes allaient accéder au pouvoir, à peine un an plus tôt. Le Front Islamique du Salut est dissous, il plonge dans la clandestinité et la guerre civile commence. D'abord contre les cibles militaires, puis de manière indiscernée contre des villages et des quartiers. Les exactions commises par les militaires en représailles rivalisent de cruauté et de barbarie. Pourtant la vie de Selim se poursuit dans son fameux immeuble qui sera rebaptisé en hommage au président défunt. Il va bientôt entrer au lycée, il a très envie de plaire aux filles, il voit avec plaisir sa moustache pousser, il sent un vent de liberté lorsqu'il s'éloigne de la cité pour aller en cours. Il change de copains, prépare son bac et songe à entrer dans une école d'art. Tout cela sous l'autorité quasi dictatoriale de son père et dans un quartier de moins en moins sûr, loin des visions initiales de la construction de l'immeuble de Rwamas, lors des Jeux Méditerranéens de 1975.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le ton est donné, plus politique dans ce second tome. L'auteur ne parlera pas de la décennie noire (terme utilisé par le régime) mais de la guerre civile qui dit clairement ce qu'elle est, des années de massacres sans autre but que de créer la terreur dans l'autre camp. C'est une prise de position très nette qui n'est forcément pas du goût du régime algérien, pour qui cette faillite est un échec patent qu'il souhaiterait effacer des livres d'Histoire. Salim raconte cette décennie avec son propre regard d'adolescent, puis de jeune adulte dont la vie se construit malgré le danger et malgré les difficultés de la vie quotidienne dans la société algérienne. L'immeuble jadis avant-gardiste se dégrade de tous les côtés, les ordures s'amoncellent dans un abri de fortune régulièrement inondé par des égouts qui se bouchent. Le symbole d'un rêve de grandeur qui s'écroule court pendant tout le récit, tandis que Salim devient un jeune homme qui réalise malgré tout certains de ses rêves de liberté. Le ton est doux-amer, la jeunesse d'une part et la cruauté de l'époque qui n'empêche pas les envies, les projets et les rêves. La conclusion de cette autobiographie en deux tomes est très réussie. Elle nous montre ce qu'a traversé l'Algérie, tenaillée entre la menace islamiste et la dictature du régime. L'humour est présent dans toutes les étapes de la vie de l'auteur. Pour le lecteur, c'est une plongée dans une tranche d'Histoire rarement évoquée. On se souvient peut-être de cette période d'il y a presque vingt ans, lorsque le flot d'informations en provenance d'un pays en guerre nous laissait pleins d'incompréhension. On ignorait à l'époque que le jeune Salim vivait ces années sombres de l'intérieur, et qu'un jour il nous les raconterait avec ce ton subtil.
