L'histoire :
Au lendemain de la chute du bloc soviétique, Slava Segalov, artiste peintre, accepte d’accompagner son ami Lavrine dans un luxueux bâtiment public abandonné. Cette grande bâtisse, récemment réalisée avec des matériaux de choix et située dans un coin de campagne reculé, boisé et vallonné, a été légèrement oubliée au moment de la débandade du régime. Alors puisque tout appartient à tout le monde et à personne à la fois, Lavrine, qui a le sens du commerce, vient se servir sans scrupule. Il a assurément des contacts pour lui acheter les vitraux modernes, les luminaires design, les tableaux accrochés au mur, jusqu’au marbre des escaliers… Au temps de l’URSS, il était déjà le champion du trafic ; au temps de l’ex-URSS, il est l’empereur du commerce. Slava et Lavrine en chargent un maximum dans leur fourgonnette. Hélas, sur la route du retour, ils tombent sur un groupe de trois brigands, mitraillettes aux poings. Slava fait faire une embardée et la camionnette roule en tonneaux en dévalant une pente enneigée. Slava et Lavrine sont indemnes, mais les brigands descendent vers eux, leurs armes en mains. Une jeune femme inconnue en skis, munie d’un fusil à lunette, les sauve in extremis. Au terme d’un échange de coups de feu, elle dégomme deux des pillards. Puis elle propose d’accompagner Slava et Lavrine jusque dans son « refuge », distant de trois heures de marche dans la neige. Désormais, leur ennemi est le froid…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quel incroyable feeling… Pierre-Henry Gomont explique en préface de ce tome 1 que l’inspiration de Slava lui est venue bien en amont de « l’opération spéciale » de Poutine en Ukraine. « Evidemment », puisqu’il faut environ une année pour réaliser une BD à un auteur sérieux qui s’en donne les moyens. Et néanmoins, à travers ce road-trip rocambolesque d’un duo de « pilleurs » dans la Russie des années 90, l’auteur revient sur les années Eltsine, avec pas mal de cynisme et de gouaille bien tournée dans les dialogues et les narratifs. Une époque de bascule radicale entre le joug soviétique et le néo-capitalisme sauvage et corrompu jusqu’à la moelle. Ici, notre duo de héros – qui se mue rapidement en trio puis quatuor – se sert en effet « sur la bête », pour s’en mettre plein les poches. Etant donné que « avant » tout appartenait à tout le monde, il n’y pas de raison pour que « après », ils n’en profitent pas un max avant les autres. Le personnage de Slava est en retrait : il conserve en effet une certaine éthique, un gros béguin pour Nina et surtout, en tant que narrateur, il se sent moins exposé à porter le focus sur son copain Lavrine, un escroc sans vergogne. Lavrine, le monde lui appartient, au sens premier ! On croit longtemps que ses péripéties mercantiles seront dénuées de morale, à la manière d’un Gus de Blain, dont le dessin jeté et vivace s’inspire, un brin de réalisme dans les décors en sus. Néanmoins, la machine mafieuse est puissante et sans pitié… Il faut donc s’attendre à une rupture d’incarnation pour les deux prochains tomes annoncés. Malgré sa tonalité enjouée faussement légère et son air de cavalcade foutraque improbable, cette aventure sacrément bien écrite en dit tout de même long sur l’âme russe, cette capacité à surmonter les pires rigueurs avec abnégation et détachement, sans oublier de s’enfiler un verre de vodka.