L'histoire :
Dans les années 90, en Russie. Pour se rendre maîtres d’un site d’exploitation minière, Slava et Lavrine se sont méchamment engueulés. Slava et sa copine Nina s’en tirent à meilleur compte que Lavrine, qui finit dans le coffre d’une voiture, balancé dans un ravin, avec deux doigts sectionnés – le prix à payer pour les escrocs qui se sont fait toper. Lavrine déambule pendant quelques jours, de refuges improvisés en caves grelotantes. Sa main s’infecte. Il est soigné par un vieux dentiste qui lui ampute toute la main pour le sauver de la gangrène. Du côté de Slava et de Nina, les choses vont beaucoup mieux : la mine a repris son activité et le couple roucoule sauvagement dans les recoins des entrepôts. Et tant pis si la direction de l’usine s’assoit sans scrupule sur les règlements d’état et s’arrange bien avec la comptabilité. L’important, c’est que les hommes aient du travail et que les affaires prospèrent. Lavrine, lui, finit par entendre parler des « vouchers », des bons de privatisation distribués par l’Etat en tant que salaires aux ouvriers, mais que les russes rejettent massivement. Il y voit immédiatement l’opportunité de s’enrichir vite et à moindre coût…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour essayer de comprendre la Russie de 2023, il peut être intéressant de se plonger dans la mentalité des « nouveaux russes » au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est, au début des années 90. Corruption de compétition, individualisme impitoyable, course à l’arrivisme… Un joyeux bordel de capitalisme sauvage a rongé la carcasse d’un système d’état bancal et quasiment offert aux plus vénaux des profiteurs. Les deux protagonistes, Slava Segalov et Dimitri Lavrine, ont été séparés à la fin du premier tome. Dans cette seconde partie d’une trilogie en devenir, nous suivrons donc leur destin en alternance, avant de les voir réunis à la fin de l’opus. Artiste ingénu, passif et romantique, Slava est l’antithèse de Lavrine, escroc et véritable rapace de la finance. « Ce n’est pas tant la passion de l’argent [qui l’anime] que le fait de prendre et de n’en laisser pour personne. » A mi-chemin entre le sociologue truculent et l’économiste historien de la décadence, l’auteur complet Pierre-Henry Gomont se livre à un admirable scanner de cette mentalité particulière et charnière, le tout avec une verve très littéraire. Roublards, lâches, dénués de scrupules, contorsionnistes d’éthique, ses personnages n’en sont pas moins attachants par la radicalité de leurs décisions et de leurs passions – à la slave ! Son dessin stylisé, en pattes de mouche très expressives, semble gagner à chaque album en maturité, en équilibre, en efficience dans les choix de cadrage et de teintes.