L'histoire :
Baladeur MP3 solidement vissé pour une kyrielle d’émotions sonores, Basile Far voyage en TER. Le bruit des roues sur les rails se superpose peu à peu à la mélodie. Puis le sifflement des toilettes. Il a beau tout essayer : le bruit du train domine son petit monde, jusqu’à ce qu’il arrive à destination. Le voilà qui pose le pied sur le quai grisâtre de la gare. Far cherche et trouve un hôtel. Il se présente comme détective d’une agence d’assurances et, hormis pour quelques broutilles sur l’organisation de l’établissement, refuse toute autre conversation. Il gagne sa chambre, se couche et s’endort, en se laissant gagner par un fantasme récurent : il imagine qu’il est debout tout nu et qu’une femme à genou, habillée en tailleur, « s’occupe de lui ». Ce soir, c’est la serveuse du restaurant qui revêt les traits de cette fantasmagorie... Au réveil, il déjeune en lisant un numéro de Elle et du Figaro. Puis il quitte l’hôtel en révélant à la serveuse qu’il enquête sur une disparition. Plus tard, il se fait prêter une voiture par le médecin du village, mais marche au hasard dans les rues. Il déambule et observe simplement, laissant ses sens s’imprégner. Que ou qui cherche t-il réellement dans cet endroit qu’il parait bien connaitre ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Qui s’est déjà laissé attraper par un album de Frédéric Bézian connait l’incroyable talent de l’auteur pour faire peser l’atmosphère du récit de tout son poids. Mettant en scène un voyageur mystérieux, ce nouvel exercice ne déroge pas à la règle : il installe un suspens et une tension au millimètre, sur un fil narratif construit principalement en voix off (d’une indéniable qualité littéraire) et fonctionnant, dés lors, tel un puissant appât... Nous voilà donc, après une entame en TER et en couleur, au cœur d’un village du Languedoc, plongés dans le noir et blanc d’un décor des années 50-60 que ne renierait pas un bon vieux Maigret (il en est d’ailleurs souvent question). Le personnage principal, Basile Far, un énigmatique colosse, est là pour une enquête sur une disparition, pour laquelle il restera néanmoins très circonspect. Pour autant, ce n’est pas sur le chemin du thriller policier que nous embarque Frédéric Bézian. A travers l’errance de son gros bonhomme dans ce petit village (celui de l’enfance de l’auteur), bâti en cercles concentriques, il s’agit plutôt ici de nous faire la démonstration « proustienne » (en une communion des sens et des souvenirs) du poids des réminiscences dans la construction d’un individu (ou des difficultés à faire le deuil de son enfance). Et si l’exercice permet de tirer joliment nombre de tiroirs métaphoriques ou de livrer un beau combat introspectif, l’ensemble traine en longueur et ne se hisse pas à la hauteur du mystère tisonné (et finalement révélé très rapidement, a posteriori). Peut-être manque t-il au récit une intrigue solide autour de laquelle la toile si subtilement tissée par la balade aurait put s’entortiller divinement. D’autant plus que l’énigmatique personnage central et sa morphopsychologie borderline avaient tout pour nous entrainer vers un délicieux basculement… L’auteur fait lui le choix d’une orientation plus confidentielle. Le trait « géométrique » et besogneux, la maitrise des contrastes sellent, quant à eux, une nouvelle fois, parfaitement l’ambiance. Une réussite, de ce point de vue.