L'histoire :
Les premiers contacts entre Thierry, dessinateur et auteur de bande-dessinée, et Miguel Benasayag se font tout simplement par téléphone, comme au siècle dernier, comme avant la digitalisation du monde. Passionné et terrifié par le livre de Miguel paru quelques années plus tôt, Thierry a souhaité lui donner une extension graphique et y projeter sa propre lecture. C'est en 1996 que, pour la première fois, l'ordinateur va battre le cerveau humain lorsque le très massif ordinateur Deep Blue l'emporte face à Gary Kasparov aux échecs. Pourtant, 25 ans plus tôt la science n'en était qu'à ses balbutiements pour tenter d'imiter le cerveau humain. Aujourd'hui, le livre de Benasayag décrit comment l'être humain, à travers des programmes de recherche très spécifiques est en train de se convaincre que la numérisation du réel, l'infinité de signaux envoyés au cerveau, peuvent être la base d'une forme de prise de contrôle. Des informations nouvelles sont constamment bombardées vers nous, sans jamais permettre de repos lorsqu'on est connecté aux outils numériques. La temporalité biologique du cerveau est-elle désormais empêchée par le flux ininterrompu de sollicitations, auxquelles notre cerveau répond d'une manière ou d'une autre. Où commence la manipulation qui diminue l'être humain en le privant de sa capacité à prendre du temps ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce projet très ambitieux, ce livre hors du commun, réunit un auteur à la forte personnalité graphique et le philosophe dont le livre l'a marqué. Cet ouvrage ne traite pas de l'intelligence artificielle mais plutôt de la tentation scientifique de comprendre les étapes élémentaires de fonctionnement de notre cerveau, et de détecter la possible perte de liberté qui en résulte. L'auteur rappelle que le cerveau humain a la capacité unique de s'étudier lui-même, dans une sorte de vertige d'intelligence qui est a priori prometteur. Ensuite, il illustre les différents moments marquants du livre Cerveau augmenté, homme diminué en expliquant sa propre compréhension de chaque passage. Son style graphique assez photographique propose des images en noir, gris et blanc, assez froides et très esthétiques. Autant prévenir tout de suite les cerveaux des lecteurs potentiels : cette lecture est assez exigeante. Il ne s'agit pas vraiment de vulgarisation et il faut le saluer. Le contrecoup est qu'évidemment, il faut avoir une petite envie de départ de s'y plonger. Le niveau de sollicitation est carrément plus élevé qu'une série de réels Instagram où se succèdent les joueurs de foot qui tombent dans la surface, les chats qui bondissent en voyant leur reflet, ou les bimbos qui font des blagues à leur petit ami, et vice-versa bien sûr. On comprend par expérience qu'on est déjà un peu les victimes de cette sous utilisation de notre propre intelligence, ce livre nous le rappelle et sonne comme un message de vigilance. Atypique et ambitieux, aride, mais plutôt bien fait.