L'histoire :
Une demi-douzaine d’activistes s’enfoncent dans la forêt, chargés de lourds sacs à dos. Ils savent qu’en passant par-là, ils vont accéder par l’arrière du camp de réfugiés et qu’il y a une faille de sécurité. En arrivant à la lisière de la forêt, en vue du grillage, ils enfilent les masques et passent en mode commando. Ils piquent un sprint, découpent le grillage à la pince, se faufilent à l’intérieur et continuent de pénétrer en courant entre les milliers de tentes, jusqu’à parvenir devant Sycamore. Le vieux fume son clope devant un feu de camp, à peine blasé par ce ravitaillement providentiel : cartes prépayées, tampons, médicaments, savons, bouffe, vêtements… Le tout en quantité forcément insuffisante pour les millions de pauvres gens qui vivent dans ce camp. Les activistes proposent de revenir avec la même chose deux jours plus tard… mais déjà, il faut fuir les gardes. Les activistes repartent en sens inverse toutes jambes à leurs cous. Ils s’en sortent tous, ils sont contents, ils ont réussi… mais c’est un coup bien dérisoire. Chacun s’en retourne dans ses pénates, à travers une ville et une société toute entière au bord de la rupture. Les flics sont partout, la xénophobie est l’air du temps, la nourriture et les biens de consommation sont hors de prix, les jeunes sont à la fois révoltés et en perte de repères…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il est français, il a un nom anglais et il habite Berlin : Stéphane Hirlemann, l’auteur complet de cette étonnante histoire de révolte désillusionnée, est cosmopolite. En latin, De Ira signifie « de colère ». Et c’est bien de cela dont il s’agit : le quotidien de cette bande de jeunes activistes est entièrement mu par la colère, dans une société très proche de celle d’aujourd’hui, mais qui est sur le point de dévisser définitivement dans un effondrement sans espoir. Dénuement économique et intellectuel, grave crise migratoire, répression à tous les étages, pillages… même l’hiver s’y met, qui recouvre la ville de congères. Tout en noir et blanc, plus un niveau de gris en aplat, le récit d’Hirlemann est bien plus engagé et personnel que ses précédents Génius et L’homme sans sourire. On sent évidemment l’angoisse d’une époque actuelle qui a perdu son humanité ; on perçoit beaucoup de talent pour la mise en scène de personnage semi réalistes crédibles et en mouvements (très agités serait plus exact), à fleur de peau sur tous les plans ; on regrette cependant que la construction narrative ne parvienne jamais à un objectif clair, à un aboutissement constructif. Comme l’expression de l’idéologie punk, il n’y a pas de lueur au bout du tunnel. Le jeu avec les masques tribaux reste lui aussi très confus. Aucun protagoniste n’est attachant, en raison de leur radicalité, de psychologies de personnages qui basculent dans la démence (une solution de refuge ?) ou se livrent à des bavardages superfétatoires. La colère est un contexte de fond, au sein d’un contrat social devenu impossible, d’une humanité qui se délite définitivement… Mais une fois qu’on a compris ce mal-être – très explicite dès le début – on attend jusqu’au bout que quelque chose de constructif commence… en vain.