L'histoire :
Sous l’écrasant soleil provençal des années 70. Clientéliste mais dévoué à ses concitoyens, François Boutiquet désespère de l’érosion progressive du village dont il est le maire. Son école primaire ne compte plus qu’une seule classe et un instituteur unique pour tous les niveaux, alors qu’il y en avait trois lorsque lui-même était enfant. Jamais à court d’idées, Boutiquet se rend chez Antoine Marc, un bourru solitaire, veuf et sexagénaire, qui s’occupe d’une lavanderaie et d’une distillerie. Il doit lui annoncer son idée de repeuplement pour le village… et ça risque de ne pas trop lui plaire. Boutiquet a en effet accepté d’accueillir des réfugiés cambodgiens, en échange d’une main d’œuvre bon marché pour s’occuper de la terre et restaurer des bâtiments communaux. Quand on sait qu’Antoine a perdu son fils unique lors de la guerre d’Indochine, cette annonce lui fait péter un câble. « Tu fais venir des macaques bridés sur mes terres !! » Antoine accueille Boutiquet avec une hache… puis il tire des bardées de plombs contre ses volets, sous les yeux médusés des villageois. La colère passée, le paysan se renfrogne. Il n’a guère le choix, de toute façon. L’instituteur arrive ainsi au village, un matin, avec sa fourgonnette contenant une douzaine de cambodgiens, plutôt adultes. Un orphelin mutique âgé d’une dizaine d’années en descend néanmoins et se retrouve accidentellement dans les pattes d’Antoine…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Un village provençal et des tensions rurales dans les années 70… On se croirait dans un Pagnol. Le scénariste Serge Scotto est devenu familier de ce registre narratif régionaliste et truculent, à force d’adapter les romans de l’écrivain-cinéaste au sein de la collection qui lui est dédiée chez Bamboo. Le propos central de cette histoire marie alors l’ambiance pagnolesque à une problématique de l’époque, mais toujours d’actualité : l’accueil de réfugiés étrangers. Ces étrangers dans la lavande ne sont pas issus comme aujourd’hui des conflits africains et proche-orientaux, ce sont des cambodgiens qui fuient la répression sanglante des khmers rouges. Le choc culturel est donc sensiblement différent mais bien authentique. Toutefois, le sujet de ce one-shot est moins l’acceptation sociale et le racisme des villageois en général, que le deuil particulier du vieil Antoine. Lui ne s’est jamais remis de la mort de son fils à la guerre d’Indochine (pour mémo, le Cambodge faisait jadis partie de l’Indochine). Or son deuil se confronte soudain à la présence d’un orphelin de 10 ans qui a un immense besoin d’amour paternel. Le sujet du racisme se retrouve ainsi vite dilué dans une chronique feel-good rurale et estivale, qui tire en longueur (96 planches) et se montre souvent inutilement bavarde. En effet, n’est pas Pagnol qui veut… Outre les facilités d’une psychologie de personnages caricaturale, les dialogues de Scotto sonnent comme autant de digressions superflues qui apportent peu d’eau au moulin, là où les parenthèses anecdotiques pagnolesques renforcent le folklore. Néanmoins, c’est bon-enfant, grâce notamment au dessin semi-réaliste dynamique et aux couleurs contrastées (le soleil provençal…) d’Emmanuel Saint. On est étonné, au passage, que cet album soit seulement le deuxième de cet artiste, devenu roughman dans la publicité, 33 ans après l’Histoire de Coutances en BD !