L'histoire :
Le gamin qui nait en février 1954, alors que la Turquie est sur le point d'élire Adnan Menderes lors des premières élections démocratiques de son histoire, va connaître un destin extraordinaire auquel rien ne le prédestinait. Un quartier populaire, une maison en bois, et beaucoup d'entraide entre la famille Erdogan et les voisins souvent issus, comme eux, de la Mer Noire, et venus à Istanbul pour y trouver du travail. Le petit Recep Tayyip est un élève très assidu lors des cours de coran auxquels son père l'a inscrit à la mosquée du quartier, mais pas très bon élève à l'école publique. Il va alors passer dans un établissement religieux, un lycée créé par l'état pour tenter de contrôler le contenu de l'enseignement de l'Islam. Plein d'énergie, débrouillard pour essayer de gagner de l'argent de poche, passionné de foot et bagarreur, le garçon subit souvent la colère de son père. Ce dernier voit d'un mauvais œil le sport favori de son fils, même si ses résultats sont prometteurs et qu'à son adolescence, il est à la limite de devenir professionnel. Mais c'est son premier engagement politique qui va déclencher son ambition. Il va se rapprocher d'un leader nommé Erbakan et du Parti du Salut National, prendre la tête de l'Union Nationale des Etudiants Turcs, et décrocher un travail dans l'administration. Pas à pas, avec détermination, il va saisir les postes à responsabilité que le parti lui propose, devenir une figure de plus en plus connue à Istanbul. Sous un discours d'apparence moderniste, il tient très tôt des propos clairs sur sa vision de la démocratie, qu'il ne considère pas comme un but mais comme un moyen. Et la base religieuse de sa vision de la vie publique va devenir de plus en plus forte, radicale, intransigeante.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Edifiante à plus d'un titre, cette biographie d'un des hommes politiques marquants de notre époque veut nous prouver que nous aurions été bien naïfs de penser que Recep Tayyip Erdogan serait un dirigeant éclairé et moderne. Les auteurs montrent comment, depuis sa petite enfance, il est marqué par ses études et ses convictions religieuses, et porté par une ambition immense. Le livre s'arrête habilement juste avant son accession au poste de premier ministre, on passe beaucoup de temps aux côté du gamin de famille pauvre, on comprend comment il a, à chaque étape de son ascension, réussi à vaincre des obstacles a priori infranchissables. Les anecdotes sont incroyablement documentées et précises, les coups bas de toute sorte que l'actuel président a fomenté durant toute sa carrière sont révélateurs de sa vision d'une fin qui justifie les moyens. Le scénariste Can Dündar est un journaliste, opposant très clair au régime actuel et vivant aujourd'hui à Berlin. Son travail aux côtés du dessinateur Jbr Anwar décrit un Erdogan très réaliste. On a l'impression de comprendre les motivations profondes du jeune enfant pauvre qui accomplit son destin personnel en se dressant contre une partie du monde. La violence du personnage, son mépris des valeurs démocratiques, son habileté à tromper les dirigeants internationaux et son islamisme radical sont clairement mis en avant. On revient aussi sur les erreurs de jugement des pays occidentaux quand ils se sont appuyés sur l'islamisme naissant, en Afghanistan notamment, à la fin de la période de guerre froide. Une lecture très instructive, vue de Turquie et pas du tout centrée sur une vision occidentale, qui revient à travers un personnage inquiétant sur quelques décennies de l'histoire récente d'un grand pays aux frontières de l'Europe.