L'histoire :
1904, prison militaire de Fort Sill, Oklahoma. Déambulant dans un champ de pastèques, S.M.Barett est accablé de chaleur. Un vieil indien qui cultive le champ remarque son inconfort. Il lui dit que ça s’appelle l’enfer et que ce climat a tué plus d’indiens que l’armée américaine, c’est dire ! Depuis 10 ans qu’il est là, il n’a jamais cessé de regretter sa terre natale, l’Arizona. Il invite l’étranger à partager une pastèque, un bien du gouvernement qu’il s’approprie au mépris du risque encouru. Dès le début, les deux hommes s’estiment mutuellement. Ils font les présentations. L’indien prisonnier se nomme Go Khla Yeh, qui signifie « celui qui baille ». Il explique que ses parents devaient se douter qu’il aurait une vie ennuyeuse (au sens indien du terme). Alors que Barrett s’étonne du chemin parcouru depuis l’Arizona, le vieil homme lui propose de revenir au commencement pour bien comprendre cette agonie. Il raconte donc la mythologie de son peuple à son hôte et termine par une cruelle vérité : lorsqu’on arrache les indiens à leur territoire, ils s’affaiblissent et ils meurent. De retour au camp, Barett se fait réprimander par le lieutenant Purrington qui lui demande où il était passé depuis deux heures. Il explique qu’il était avec Go Khla Yeh, un sympathique cultivateur. Le militaire agacé lui répond que Géronimo est le prisonnier le plus dangereux des Etats-Unis…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Geronimo mémoires d’un résistant Apache, Lisa Lutrin et Clément Xavier (Yékini et le roi des arènes, Révélation à Angoulême en 2015) adaptent les mémoires de l’apache Geronimo, tout en poursuivant un reportage anthropologique sur les indiens d’Amérique. Alternant passé et présent, Histoire et fiction, cet épais roman graphique évoque la société dans le sens large du terme. Les effets pervers d’une colonisation tiraillée entre folie et sagesse ont anéanti un peuple entier au nom de la marche en avant d’une civilisation soi-disant plus avancée. Sous son aspect basique, le crayonné simple et chaleureux de Lutrin absorbe l’essentiel de la violence psychologique et physique qui est évoquée ici. Le scénario élaboré par Clément autour de l’histoire de Geronimo montre beaucoup de la vie paisible que menaient les indiens avant la conquête du territoire américain. Le ton gentiment anachronique des dialogues peut surprendre, mais au même titre que le dessin minimaliste, il dédramatise le propos. La sagesse indienne transparait à travers leur quotidien, mais aussi à leur manière de faire la guerre contre les mexicains et les américains. Bien sûr, ils ont été cruels, mais ils étaient en état de légitime défense. Ils furent méprisés, trahis et spoliés par les blancs : manœuvres politiques, duperies, massacres, viols, déracinement… rien n’a été épargné pour les exterminer. Les intermèdes photographiques, parfois en transition directe avec le dessin, alimentent l’aspect documentaire de l’album et ravivent ce sentiment que les indiens portent en eux la souffrance endurée par leur peuple à jamais. La conquête de l’Amérique fut un beau gâchis à bien des égards et l’homme blanc le responsable aveuglément cruel de ce génocide. De quoi prendre définitivement partie pour les emplumés dans les westerns de tonton John Wayne !