L'histoire :
En 1897, l’explorateur Robert Peary est au Groenland, en train de charrier sur son navire une énième météorite pour un mécène américain. Au moment de repartir, Peary se pique d’une idée un peu folle : il propose (impose ?) à une famille d’esquimaux de venir à New York à bord de leur navire (un super kayak !). Parmi les 5 esquimaux du voyage, se trouve Minik, un garçonnet âgé d’une dizaine d’années, et son père Risule. Animé d’un complexe de supériorité, doublé du sentiment paternaliste communément admis à l’époque, Peary les considère surtout comme un trophée et se désintéresse rapidement de leur ressenti. En arrivant, les esquimaux découvrent l’inimaginable : une ville tassée, fumante, verticale, les gratte-ciels, le métro… L’arrivée de ces indigènes défraye la chronique, passionne le public et intéresse les scientifiques, qui se mettent à les étudier sous toutes les coutures. On les baigne, on les mesure, on les photographie, on les habille à l’occidentale, on fait des moules de leurs faciès… Les esquimaux s’y prêtent volontiers, avec un amusement certain. Mais rapidement, les 4 adultes se mettent à tousser et tombent malades. Ils décèderont en quelques jours, abandonnant Minik au tumulte de la société occidentale…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Comme on le ressent parfaitement au fil des pages, le périple de Minik est une histoire vraie. L’aventure de ce petit indigène esquimau, catapulté en solitaire dans la société moderne, ainsi que l’époque du début du XXe siècle, font penser à Greystoke, pourtant sous des latitudes radicalement différentes. Cette histoire était initialement racontée dans un livre de Kenn Harper (collection Terre humaine), avant que Chloé Cruchaudet ne s’y intéresse et s’en empare avec talent en 2008. Touchée par cette chronique, et sensible au format biographique, Cruchaudet a approfondi la chose avec un grand professionnalisme. Elle a réuni une documentation fabuleuse et a travaillé en étroite collaboration avec la réalisatrice d’un film documentaire sur les Inuits (Delphine Deloget, qui signe la postface). Son objectif, parfaitement atteint, visait à rendre l’émotion et l’humain cachés derrière une somme d’éléments « techniques », en tissant les entres deux d’une petite histoire vibrante et palpitante. C’est tantôt drôle (les pensées réciproques découlant des chocs culturels), tantôt tragique (l’abandon, le déracinement), mais toujours d’une grande justesse de ton et de style ! Car non seulement Cruchaudet révèle ses talents de conteuse, mais elle prouve de grandes capacités graphiques. Son trait moderne, sorte de « crayonné informatique » finement cadré et rythmé, est rehaussé d’une palette chromatique osée et décalée, mais finalement d’une belle cohérence. Par moment, pour illustrer l’imaginaire de Manik, Cruchaudet adopte aussi une sorte de dessin naïf, qui cherche à respecter le style pictural des Inuits. Une bonne idée que cette réédition, 16 ans après sa sortie initiale !