L'histoire :
Perpétuelle patiente de son médecin, Ida est naturellement lasse de tout, au fond de sa Suisse natale. Malade imaginaire à mauvais caractère, elle s’imagine au plus mal quand le docteur lui impose une cure en bord de mer. Ainsi, il en sera débarrassé ! Après quelques jours d’un voyage qu’elle juge pénible, elle foule enfin le sable d’une plage française et se montre d’emblée curieuse envers ce nouvel environnement. Elle apprécie d’ailleurs assez vite le charme des français, même si elle trouve qu’ils sentent l’ail et sont un peu voleurs. Une promenade au marché aux poissons lui rappelle l’aquarium géant qu’elle découvrit à l’exposition universelle de 1887. Elle en fait part à sa sœur dans une lettre racontant son voyage inattendu. L’air du large réussit si bien à son souffle qu’elle décide de pousser plus loin son périple vers le sud et par la mer bien sûr. Après un bref passage chez les espagnols, qui sont fort laids à ses yeux, elle prend la direction de l’Afrique pour une croisière qui lui donnera maintes raisons de se plaindre. A Tanger, elle rencontre Fortunée, une jeune femme destinée malgré elle au couvent en raison de ses mœurs légères, beaucoup trop pour son rang ! Ida, qui ne supporte pas l’injustice, décide alors d’enlever la jeune femme à son père gouverneur, même si ce dernier s’est pourtant montré fort charmant de l’accueillir à sa table. Elle lui laisse donc une lettre de remerciement avant de s’enfuir avec sa jeune protégée en pleine nuit.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ida, exploratrice hypocondriaque et casanière, est un personnage paradoxal, particulièrement attachant, qui méritait bien que son aventure soit présentée en intégrale. Chloé Cruchaudet (Le combat des justes, Mauvais genre…) aborde le thème de l’exploration de l’Afrique à la fin du XIXème siècle par ce personnage singulier, rebelle aux règles de salons malgré un tempérament incorrigiblement bourgeois. Son dessin et ses couleurs, emprunts d’une féminité manifeste, accompagnent la douceur de l’humour et la mise en scène dans un ensemble homogène visuellement, équilibré dans sa construction et bien documenté. A la fin du XIXème siècle, si l’esclavage vient d’être aboli, le colonialisme entretient encore une flamme malsaine, dont on entrevoit l’ampleur au cours de ce récit original. Construit avec finesse autour de personnages réalistes, le scénario parle de l’Homme, de sa nature ambiguë, qui façonne parfois l’Histoire à sa guise, oubliant souvent qu’en Europe, à cette époque, certains pays avaient des pratiques abominables envers ceux qu’ils considéraient comme inférieurs. Ida traverse ainsi des situations qui la feront évoluer de manière parfois violente, la menant un moment au bord de la folie. Pour un temps seulement, puisque son instinct de survie permettra à la belle morale de fin de ponctuer ce beau récit. La présentation élégante et le cahier graphique achèvent cette réalisation artistiquement aboutie.
