L'histoire :
Le 31 octobre 1894, Mathieu Dreyfus reçoit à Mulhouse une dépêche de sa belle-sœur, lui demandant de venir à Paris de toute urgence. Son frère est en prison, accusé de haute trahison par sa hiérarchie militaire. Le capitaine Alfred Dreyfus aurait vendu des documents à une puissance étrangère, le général Mercier confirme les faits, tandis que la presse dévoile le nom de l'officier, en précisant qu'il est juif. Parmi les premières personnes qui s'intéressent à l'affaire, Bernard Lazare, écrivain et journaliste, se préoccupe du déferlement de haine antisémite qui fait suite à la nouvelle de l'incarcération de l'officier. Les propos d'Edouard Drumont dans La Libre Parole sont révélateurs de la violence verbale autour de la haine des israélites. L'avocat de Dreyfus sera Maitre Demange, un homme convaincu de son innocence et du fait que son incarcération est uniquement liée au fait qu'il est juif. Les pièces auxquelles il a eu accès sont douteuses : une lettre d'envoi de cinq documents vers une puissance étrangère, sans savoir comment elle a pu être récupérée, et dont les experts ne s'accordent pas sur l'authenticité. Très vite, Dreyfus sera condamné puis envoyé au bagne en Guyane. Mais l'affaire ne fait que commencer. Autour de Mathieu Dreyfus, les prises de parole se multiplient, provoquant un raidissement des autorités militaires. Le vice-président du sénat Auguste Scheurer-Kestner est un des plus ardents défenseurs de Dreyfus. Les grands noms politiques de l'époque comme Jaurès ou Clemenceau prennent position. Et bien entendu, Emile Zola et son fameux « J'Accuse ! » à la Une du Figaro !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bien plus profondément que ne le faisait le film de Roman Polanski sur le même thème, ce livre de Jean Dytar plonge dans les archives de presse pour que le lecteur puisse réaliser la violence de l'affaire dans les débats politiques de l'époque. L'incroyable banalité de l'antisémitisme et les Unes haineuses de La Libre Parole, par exemple, montrent à quel point le capitaine Dreyfus pouvait se considérer définitivement perdu dès lors qu'une sorte de coup avait été monté contre lui. Le format et la manière de relater les faits sont très originaux. L'auteur a choisi de mélanger de vraies coupures de presse avec des hypothétiques échanges sur des réseaux sociaux. Il joue sur l'anachronisme pour mettre en avant l'actualité terrifiante de cette affaire dans la manière dont elle suscite des déferlements de haine viscéraux. Son découpage mécanique en quatre cases et ces pleines pages qui reproduisent les publications de l'époque est aux frontières de la bande-dessinée et du reportage. Une application téléchargeable sur téléphone ou tablette permet en outre d'accéder à tout un contenu supplémentaire qui transforme l'expérience. Malgré une certaine monotonie, la densité des dialogues et des extraits proposés rend la lecture de cet album très intéressante. Les infos réelles et les tweets imaginaires se complètent, sans créer de confusion. L'anachronisme et le formalisme esthétique sont partie prenante de l'expérience immersive. Ce travail est clairement destiné à un lectorat qui dépasse le public BD traditionnel. Il devrait susciter la curiosité ! En tout cas, c'est une vraie plongée dans un fait historique majeur plein de passion et de haines, très actuel !