L'histoire :
1823 : Palmyra, une petite ville perdue dans les collines de l’état de New-York. Joseph Smith, jeune homme vivant au sein d'une famille pieuse, est connu pour avoir un don de voyance. On le consulte afin de trouver des trésors de tous types. A l'aide de son chapeau, d'une pierre soi-disant magique, posée au fond, et de son visage qu'il plonge aussi à l'intérieur, il prétend avoir des visions. Il est intrigué par les histoires des anciens, évoquant des cimetières « indiens » sous des tumulus dans les environs, au sein desquels on aurait retrouvé des bijoux en cuivre d'autres cultures et époques. Il ne lui en faut pas plus pour monter un scénario hallucinant, ou tout du moins, c'est ce qui nous vient à l'esprit face à sa « révélation ». En effet, Joseph est analphabète et apprend auprès de son frère, en répétant des passages de l'évangile. Or, un jour de moissons, il ne se sent pas bien et rentre se reposer. Lorsque son père le rejoint, Joseph lui raconte qu'il a été visité la nuit précédente par un messager de dieu, lui ayant révélé l'existence de plaques d'or enfouies non loin, où sont gravées l'histoire des premiers habitants de ce pays, ainsi que leurs origines. Il ne pourra les lire qu'à l'aide d'un pectoral et de lunettes de cristal, nécessaires à sa traduction. Le frère de Joseph meurt malheureusement, mais celui-ci n'abandonne pas. Et quatre ans plus tard, il se décide enfin à déterrer les fameuses plaques, ainsi que les dites lunettes, et les ramène dans sa famille. Cependant, nul ne pourra voir cet artefact, sous peine de malédiction mortelle immédiate. Aidé d'abord par sa femme, puis par des amis croyants, il va se lancer dans leur traduction, et révéler le livre de Mormon.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
450 pages d'une histoire peu connue par le public français - et on osera même dire par les américains - tant l'étude de cette église créée en 1834 est approfondie et traitée avec passion et recul. Noah Van Sciver s'est en quelque sorte « fait la main » en 2012 avec la biographie étonnante qu'il a consacrée à la jeunesse du président Lincoln (The Hypo, the melancholic Young Lincoln). Ce premier roman graphique de 188 pages publié chez Fantagraphic Books a donné un peu à voir le ton et la qualité de l'œuvre à venir, sachant que son auteur a produit d’autres récits plus personnels depuis 2006, dans le milieu du fanzinat et au sein de diverses revues. Johnny Appleseed, réalisé avec Paul Buhle au scénario en 2017 pourra se percevoir aussi comme un autre marche-pied pour ce qui concerne la propension de Noah Van Sciver à raconter des vies de personnages étonnants. Ayant vécu jusqu'à l'âge de douze ans dans la communauté de l'église de Jesus christ des saints du dernier jour, (communément appelée « les Mormons »), avant que sa mère ne l'y retire, l'auteur a ressenti le besoin de se replonger profondément dans son histoire, lisant et se documentant énormément, afin de comprendre au mieux la personnalité trouble de Joseph Smith. La tâche s'est avérée plus complexe et longue que prévue, mais c'est avec un talent indéniable qu'il s'acquitte de celle-ci, nous emportant avec lui dans l'Amérique de 1825 à 1845, peignant une communauté très croyante, au sein de laquelle un homme va réussir une mission improbable : créer contre vents et marées une nouvelle église. A l'aide d'un découpage précis, d'une mise en page souple et aérée, et de son style de dessin désormais bien établi, avec des couleurs plutôt douces, Noah Van Sciver développe son scénario avec brio, usant de dialogues riches et efficaces. La maîtrise et l’objectivité dont il fait preuve permettent à une histoire que l'on aurait pu croire à tort lourde ou inintéressante aux profanes, de se révéler au contraire pleine de surprises, de découvertes, de rebondissements et d'une teneur dramatique n'excluant aucun sujet fâcheux. Au final, un bouquin brillant, à la maquette « biblique » très plaisante et étonnamment moderne ! Chaudement recommandé, que vous ayez des lunettes de cristal ou pas !