L'histoire :
En décembre 1993, Fabrice a le sentiment d'être arrivé au bout de son parcours aux Beaux Arts. Il est toujours au chômage, en galère et il survit en côtoyant au quotidien un groupe d'étudiants. Rien de tel que cette émulation... Dans le bar où il a ses habitudes, son regard croise celui d'un autre étudiant au regard de braise et à la carrure de rugbyman basque. Coup de foudre. Dans les jours qui suivent, il participe au vernissage d'une exposition en sa compagnie. Bonheur. Il lui semble qu'il doit s'appeler Dominique, car tout le monde l'appelle « Doumé ». Il se refuse à essayer de dessiner son visage. En attendant une inespérée ouverture, Fabrice continue de zoner et de vivre. Un soir, il repère le manège d'une voiture qui tourne en ville. Il croit distinguer un militaire au volant et se met à fantasmer. Il fantasme qu'il soit un peu voyou, un peu violent, voire pourquoi pas meurtrier. Et puis la voiture s'arrête à son niveau et l'homme lui propose de monter. Fabrice n'hésite pas une seconde...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce volume, le plus épais des deux rééditions par Delcourt, couvre la période Décembre 1993 - Août 1995 (il y a presque 30 ans !). A l'époque de sa première édition (1999), Fabrice Neaud, en marge de bien d’autres auteurs (dont David B.) a inventé une forme nouvelle de narration autobiographique en BD, lui insufflant une dimension littéraire novatrice. Avec des mots simples mais réfléchis, et une très grande liberté de ton appuyée par des références érudites, Neaud réussit à nous emmener très loin dans la réflexion sans jamais prendre la tête, entre philosophie et introspection, faisant partager sa détresse avec sincérité : il se dépeint en homme à la fragilité touchante, sorte de loser magnifique. Ce qu’il n’a pu exprimer trouve ici un exutoire littéraire et graphique dont l’ambition est de formuler l’ineffable, le malheur et la douleur, pour les sublimer. Entre essai et confession, son trait réaliste en noir et blanc, très pur et fin, glisse alors lentement vers des allégories aux accents métaphysiques (voir celle magnifique où Fabrice, recouvert de feuilles, s’envole et disparait, vers les noumènes ?). Mais Fabrice Neaud est aussi un portraitiste virtuose, capable de reproduire à l’identique des visages qui dévisagent le lecteur, pour le renvoyer à un étonnant statut de « voyeur-vu », manière pour lui de nous prendre à témoin et de fixer son ressenti par des images confondantes de vérité. Qui d'ailleurs lui ont valu pas mal de polémiques et d’ennuis judiciaires, notamment autour de la question du droit à l’image, objet de crispations. Au final, son œuvre fondatrice, ambitieuse et marquante de l’histoire de la BD traverse les époques sans jamais perdre de sa force. Aveu d’impuissance ou redoutable témoignage de vitalité créatrice, quête identitaire désespérée ou portrait au vitriol d’une France de fin de siècle, le Journal est une œuvre à hauteur d’homme, qu'il faut prendre le temps d'apprécier et de comprendre.