L'histoire :
Comme tous ses camarades de classe, Jun Sang, un garçon de 8 ans qui vit en Corée du Nord, est convaincu du bonheur providentiel que le leader du pays, Kim Il Sung, et son jeune fils Kim Jong Il, organisent pour leur peuple. Les adversaires du miracle socialiste, il le sait, sont nombreux, que ce soient les fantoches de Corée du Sud, ou ces chiens d'américains. Il se voit incarner les héros révolutionnaires qui symbolisent la lutte du pays et le sacrifice individuel pour la cause commune, et comprend les restrictions que subissent les familles pour parvenir au succès du pays. Il retrouve les garçons de son âge lors des travaux des champs, ou bien lorsqu'il leur revient de collecter les excréments du quartier pour en faire de l'engrais. Chaque activité est l'occasion de petites combines ou de rivalités bien compréhensibles avec ses camarades, dont Jun Sang se tire en général très bien, sachant habilement réutiliser le langage révolutionnaire qui impressionne. Pourtant, le petit garçon qui grandit comprend que quelque chose de mystérieux entoure ses grands parents paternels, dont il a interdiction de parler à ses amis. Ils habitent à peine à cent kilomètres de la capitale, mais les restrictions de déplacement vers une autre région ne lui ont permis de les voir qu'une seule fois. Aussi bien leur nom que le fait qu'ils soient encore vivants doit être absolument rester un secret de famille. Jusqu'au jour où il apprend qu'ils sont nés en Corée du Sud...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il se pourrait bien qu'Aurélien Ducoudray soit en train de devenir un brillant touche-à-tout du scénario. Il aborde avec un égal bonheur une multitude de genres allant de la SF drôle (Bots) à la chronique sociale très humaine comme Békame ou l'étonnante immersion qu'il nous propose ici en Corée du Nord. A travers les yeux pétillants d'intelligence du petit Jun Sang qui grandit dans sa manière de comprendre la mécanique de son pays ultra totalitaire, le scénariste nous fait découvrir une réalité quotidienne à mille lieues de ce que l'on croit connaitre de l'une des dictatures les plus isolationnistes qui soient. L'embrigadement des jeunes écoliers, la surveillance quotidienne de tous, l'absence totale de liberté de mouvement, et la propagande anti-Corée du Sud et anti-américaine traversent cet album sans jamais en alourdir la lecture. Ducoudray pose des touches légères et parfois décalées sur une situation très concrète, qui s'approfondit à mesure que Jun Sang l'appréhende et commence à réagir. Mélanie Allag réalise ici son premier album de BD, conservant de son travail d'illustratrice pour enfants une certaine douceur du trait et une vraie délicatesse des couleurs. Sans prouesse technique, elle accompagne les personnages dans les moments les plus durs, ajustant la densité de son trait ou les nuances de ses ombres à la force des moments qu'elle décrit. Le duo d'auteurs fonctionne parfaitement et le récit avance sans heurt, captivant et sensible de la première à la dernière page, sans le moindre effet dramatique inutile. Sans savoir quelle est la part de réalité quotidienne qu'ils ont utilisée pour bâtir cette tranche de vie, ils nous embarquent corps et âme aux côtés de ce petit garçon embrigadé, qui devient un jeune homme libre.