L'histoire :
Sur la place Tien An Men, dix ans après les manifestations pour la liberté réprimées dans le sang, une jeune australienne d'origine chinoise se dirige vers le lieu d'un important rendez-vous. Un vieil homme en fin de vie, sous assistance respiratoire, lui a demandé de venir lui parler d'un fils qu'il a perdu lors des fameuses manifestations. Pourtant, cet homme n'est pas n'importe qui : l'accès à sa résidence est surveillé par des gardes. Il est un vieux dignitaire du régime qui a marché aux côtés de Mao lui-même. Un exécuteur d'assassinats politiques, un homme de main de la révolution culturelle. Il sait, grâce aux services secrets, que la jeune Lee était en fait la petite amie de son fils Han, lorsqu'ils étaient tous deux étudiants dans une prestigieuse université de Pékin. C'est lui qui a demandé à l'australienne de venir lui rendre visite. Lee lui raconte alors les heures passées à préparer les manifestations, l'exaltation que les étudiants ressentaient, leur naïveté. Mais Sheng veut la presser d'en dire plus. Qu'est-il arrivé à Han, où l'a-t-elle vu pour la dernière fois ? Un dialogue tendu s'installe, Sheng, allongé sur son lit médicalisé, fait preuve d'une arrogance sans limite, justifie la violence à toutes les étapes de l'Histoire de son pays. Elle lui renvoie les informations qu'elle a rassemblées sur lui, la manière dont il a traité sa femme, les raisons qui ont poussé son fils à mentir sur son propre père. Et petit à petit, à mesure qu'ils évoquent les dramatiques évènements, il devient évident que Han était une figure majeure de la révolte.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En nous replongeant dans les évènements de la place Tien An Men en 1989, les auteurs de l'Homme de l'Année choisissent un sujet complexe, sur lequel peu informations sont connues du grand public. De ces semaines de manifestations pour les libertés démocratiques en Chine, il est resté l'image iconique d'un homme debout devant un char d'assaut, qui avance, puis s'arrête. Puis une répression soudaine, massive et violente, qui organise le retour à l'ordre en faisant de nombreuses victimes parmi les manifestants. La couverture de l'album est un teaser formidable, puisqu'elle montre cet homme en chemise blanche, posant devant le véhicule blindé. L'album est un face à face tendu entre deux regards sur le monde, deux générations que tout sépare, pourtant rapprochées par le destin d'un jeune homme de 19 ans. Jean-Pierre Pécau utilise Sheng pour expliquer froidement la manière dont le régime a décidé d'en finir avec des semaines de manifestation, utilisant à la face du monde et de son propre peuple les armes à feu contre ses propres citoyens. Derrière le discours, l'homme laisse pourtant paraître sa souffrance, celle d'un dignitaire du régime dont le propre enfant pourrait avoir été une des victimes. Un dialogue de haut-vol, une froide leçon d'histoire, illustrée avec beaucoup de maîtrise par le serbe Gin et la coloriste Scarlett. Et finalement une surprise dans le déroulement en lui-même de la rencontre, qui ajoute définitivement du sel à cet album très réussi.