L'histoire :
Un couple est attablé à une table de petit déjeuner. L’homme, qui a le réveil plutôt allègre, incite jovialement sa compagne à lui raconter son dernier rêve. La femme, encore toute ensuquée lui narre alors un délire onirique sordide et morbide, brut de décoffrage, révélateur de ses nœuds psy intimes. L’homme n’est pas déçu…
Un type sort de son appart, ferme sa porte à clé et descend le long escalier de son immeuble. En bas, il consulte sa boîte aux lettres postale et remonte. De retour sur son palier, il s’interroge sur l’irrésistible besoin de fermer sa porte à clé pour ce faire…
Un collectionneur de dédicaces exhibe fièrement ses trophées à un ami (5653 dédicaces ce mois-ci !), critiquant les rapides, valorisant celles qui ont réclamé le plus de temps de file d’attente et ne manifestant, en fait, aucun intérêt pour l’œuvre ou l’auteur…
Dans le train, un voyageur se réjouit d’avance de ce que la longueur du trajet lui autorise à piquer un petit roupillon… lorsque soudain sa voisine (côté fenêtre) reçoit un coup de fil sur son téléphone portable. Véritable pipelette, elle, se réjouit d’avoir ce coup-de fil qu’elle espère interminable, pour tuer le temps…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A la manière d’un blog dessiné, comme il en existe aujourd’hui tant sur le web, ce petit recueil rassemble nombres des « humeurs dessinées » de Bézian. « Des petits regards sur des histoires de tous les jours, cueillis dans le train, dans la rue, à la maison, dans le métro… Ce défilé sans ordre précis se montre tour à tour burlesque, révoltant, pathétique, réjouissant ou grotesque » (dixit Bézian himself). L’artiste revient en effet sur des contextes et situations récurrentes, qui sentent le (potentiellement) vécu). Il y a le type qui descend chercher son courrier ; l’auteur en dédicace confronté au mépris du public ; le gamin qui « bloque » à table devant un plat qu’il refuse catégoriquement d’avaler ; les comportements sans-gêne des utilisateurs de transports en commun ; le type qui apprend une nouvelle révoltante dans le journal, perdu au milieu d’une foule qui s’en fout… Dans ce type omniprésent, il y a très certainement beaucoup de lui-même, partageant avec ses lecteurs ses interrogations absurdes et/ou agaçantes sur notre société de cons. Bézian fait juste des constats, en exagérant juste un chouya les contextes (quoique parfois…), pour bien cerner le propos, sans être moralisateur, laissant au lecteur le soin d’apprécier le non-sens des situations. Les chutes sont souvent drôles – on ricane jaune, nerveusement – de par les aberrations qu’elles suscitent, mais pas nécessairement. Visuellement, on retrouve l’univers graphique propre à l’artiste (et à nul autre), un trait acerbe, abrupt et diablement maîtrisé, juste rehaussé d’une austère bichromie en aplats. A plusieurs reprises, Bézian déroule ses histoires en modulant des détails à partir d’un même châssis graphique. Mais cette astuce (de fainéant !) n’est pas dérangeante dans le sens où l’environnement n’apporte rien au propos. Qualifié de « livre le plus léger » par l’auteur, La belle vie n’en est pas moins une photographie acide de notre société…