L'histoire :
A l’époque néolithique, vivait une famille primitive, dans une grotte. Elle était composée d’un papa, Tegumai Bopsulai, ce qui signifiait « L’homme-qui-ne-met-pas-un-pied-devant-l’autre-sans-savoir-pourquoi ». Il était bourru et gentil, sauf quand il avait faim. Mais aussi d’une maman, Teshumai Tewindrow, ce qui signifiait « la-Dame-qui-fait-beaucoup-beaucoup-de-questions ». Et d’une petite fille, Taffimai Mettalumai, ce qui signifiait « Petite-personne-dépourvue-de-manières-et-qui-a-besoin-d’être-fouettée ». Pour plus de commodité, nous les appellerons respectivement Tegumai, Teshumai et Taffy. Un jour que Taffy accompagnait son papa à la pèche, tous deux furent bien désappointés lorsque Tegumai cassa son harpon sur un caillou au fond de l’eau. Tegumai s’affaira alors aussitôt à réparer son arme et refusa que Taffy s’en aille en cherchant un autre à la grotte : le trajet pour s’y rendre était bien trop périlleux. Vint alors à passer un étranger, qui ne parlait pas la même langue, mais qui semblait plein de bonne volonté. Lorsque Taffy lui raconta la mésaventure de son papa, celui-ci ne comprit rien et attrapa un morceau d’écorce de boulot. Taffy crut alors qu’il s’agissait de lui dessiner avec une pointe une sorte d’explication – sous forme de rébus car alors l’écriture n’existait pas – afin qu’il puisse aller quérir auprès de Teshumai le harpon de secours…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Et de trois ! Yann Dégruel semble prendre grand plaisir à adapter en bandes dessinées des nouvelles de Rudyard Kipling (issue des Histoires comme ça). Après L’enfant d’éléphant et Le chat qui s’en va tout seul, voici La première lettre qui propose une hypothèse somme toute plausible à l’invention de l’écriture (symbolique). Le décorum est celui d’une préhistoire bon enfant et légèrement caricaturale, où les hommes vivent en relative bonne harmonie, puisque les petites filles peuvent se permettre de parler à des inconnus. Dans un élan communicatif spontané, la jeune héroïne Taffy va ici inventer sans le savoir une nouvelle manière de se faire (mal) comprendre d’autrui, en s’aidant de ses aptitudes artistiques : le rébus paléographique est sans doute la première forme de bande dessinée et par extension d’écriture ! Evidemment, le procédé aura sans doute demandé quelques ajustements empiriques qui coururent sur des millénaires, mais l’intention schématique est bien celle décrite avec malice par Kipling et Dégruel. Comme pour les deux autres ouvrages adaptés, le format est carré et le dessin pluri-techniques : craies, crayons gras, papiers cartonnés et feutres, avec toujours cette obsession pour le bleu électrique. Si le résultat n’est pas très régulier au regard du 9ème art académique, il participe d’une belle cohérence artistique et se montre parfaitement expressif et congru pour relater un tel conte…