L'histoire :
Dans un village de Dordogne, à l'été 1870, alors que de nouvelles défaites en Lorraine face à l'armée prussienne surprennent l'opinion dans toute la France, Alain de Moneys décide de s'engager pour défendre son pays. Il aurait été bien plus simple pour lui d'éviter la mobilisation en utilisant sa fortune de notable, mais son devoir de patriote est le plus fort. Mais avant de partir, il veut régler quelques affaires courantes, comme par exemple acheter une génisse pour une jeune femme dans le besoin. Arrivé dans le village voisin, il intervient pour apaiser une dispute, et prononce « A bas la France » à la fin d'une phrase, en voulant illustrer ce que l'un des protagonistes ne pouvait pas avoir dit. Mais une voix s'élève dans la foule : que vient-il de dire ? Est-il un défenseur des prussiens ? Il faut dire que les journaux du jour ont déchaîné la colère et la frustration. Aux morts des combats à Forbach, s'ajoutent ceux de Reichshoffen, et le ton monte. De Moneys se défend et plaide un malentendu, mais plusieurs hommes se rassemblent, et un premier d'entre eux le frappe au visage. Débute alors un lynchage que rien ne semble pouvoir arrêter. Ses propres amis ne semblent plus le reconnaître et le traitent de prussien. Quelques habitants vont tenter de prendre sa défense...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sur la base de faits réels, cet album de plus de 160 pages, adapté d'un livre de Jean Teulé, met en scène un déferlement de violence d'une absurdité glaçante. La montée de la folie collective de la foule est mise en scène de manière progressive, en une succession d'étapes qui franchissent à chaque fois une étape dans l'horreur. Alain de Morney passe progressivement du statut de notable apprécié de tous pour les nombreux services désintéressés qu'il a rendus, à celui de victime anonyme et méconnaissable. La surenchère de violence, l'impossibilité de raisonner les agresseurs, le renoncement forcé de ceux qui tentent de le sauver, sont racontés au tout premier degré, sans recul. Bien entendu, on pense qu'une des leçons de cette tragédie est que chaque époque peut, sur un coup de sang, chercher des victimes expiatoires aux malheurs qu'elle vit. Mais la morale n'est pas présente dans cet album. Le chemin de croix de la victime est raconté de manière chronologique, presque méthodique. Le dessinateur Gelli réussit totalement cette adaptation, illustrant de manière terrible la perte d'humanité, la haine pure, l'absence de raison. Le corps de De Moneys lui aussi témoigne de cette escalade insoutenable, perdant peu à peu forme humaine. Ce récit est une monstruosité absolue, racontée avec une efficacité glaçante. Une lecture éprouvante.