L'histoire :
Un soir, alors qu'il quitte la brasserie Lipp, tout près de minuit, une voiture suit la Peugeot 403 de François Mitterrand, qui subit une rafale de balles tirées dans sa carrosserie. Il s'en sort sans blessure, mais la révélation des circonstances de cette attaque sera un fait historique majeur des années cinquante. Mitterrand était alors sénateur de la Nièvre, après avoir été ministre de l'Intérieur du gouvernement de Pierre Mendès France, au milieu des années cinquante, quand la France était encore présente en Indochine. La fuite de documents concernant la stratégie militaire à adopter sur le territoire vietnamien quelques années plus tôt semblait montrer que les communistes avaient un informateur au sein du gouvernement et pouvaient passer des informations aux Vietminhs. Mendès France n'avait pas immédiatement exclu que Mitterrand soit impliqué. Il créa alors chez son jeune ministre une méfiance qui ne le quittera plus. Au cours de ces années de décolonisation, Mitterrand sera également garde des sceaux sous Guy Mollet, puis commencera à construire sa réputation politique comme opposant déterminé au retour du général de Gaulle. Assis sur un fauteuil, quasiment immobile pendant qu'un sculpteur taille son buste, François Mitterrand répond aux questions d'une journaliste qui veut écrire un livre sur lui. Il promet de tout dire, sous réserve que l'ouvrage ne sorte que vingt-cinq ans plus tard. Nous sommes en 1994...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Patrick Rotman est célèbre pour son travail de journaliste et documentariste autour de l'histoire récente, avec un goût particulier pour l'exercice du pouvoir, le parcours des hommes qui l'incarnent. La trame qu'il a conçue pour ce livre est très basique. Elle raconte trois affaires qui ont marqué les débuts de François Mitterrand, alors qu'il n'était que ministre sous la quatrième république. Mais déjà, l'ambition et l'intelligence du personnage crèvent l'écran, si l'on peut dire, et les premiers coups tordus qu'il a subis ou orchestrés donnent une image terrible du monde politique. Les faits sont assez stupéfiants pour ceux qui n'en ont pas entendu parler ; on laissera au lecteur qui serait dans ce cas la surprise de l'attentat de l'observatoire ! Rotman n'est, cela dit, pas un scénariste de bande-dessinée, et le rythme tendu ou la vérité parfois nue d'un documentaire bien foutu transparaissent plus difficilement ici. Jeanne Puchol, avec un noir et blanc aux subtiles nuances de gris ajoute un ton de polar rétro à ces évènements et s'efforce de croquer les protagonistes de manière reconnaissable sans être figés. Son Mitterrand jeune, ainsi que Pierre Mendès France, sont réussis. On a l'impression qu'elle a pu poser une caméra dans les années cinquante, comme Rotman a aimé le faire avec leurs successeurs des années récentes – Hollande ou Sarkozy par exemple. Mais la lecture en particulier de la première affaire est un peu aride, avec une multitude de protagonistes aux noms peu connus aujourd'hui, tandis que la succession des trois se fait sans lien particulier. Le fil conducteur est une interview surréaliste du président Mitterrand dans ses dernières années, le visage vieilli, mais le propos toujours cinglant. Le portrait est sans concession, et la force du personnage très bien rendue.