L'histoire :
Olivier naît dans une famille de babas-cools. La vie est belle, simple, mais l’éducation qui lui est octroyée se fait à deux vitesses. D’une part, ses parents le font évoluer dans un milieu libertaire plutôt sympa : tout le monde à poil, avec des mœurs sexuelles (disons) très ouvertes. Son idéal de vie est alors celui d’un couple d’amis qui vit en Ardèche de la vente du fromage de ses chèvres. D’autre part, ses grands-parents tentent de lui inculquer de pieuses valeurs. Olivier se pose beaucoup de questions dichotomiques. Jusqu’au jour où il fait la rencontre d’un ami de ses parents, Pierre. Gros barbu souriant, une guitare à la main, toujours heureux, Pierre présente le double avantage d’être à la fois curé et baba-cool ! Un curé de gauche, quoi. Le bonhomme ne fait pas de prosélytisme et accepte les gens tels qu’ils sont sans leur imposer de rituel chrétien particulier. Comme il est toujours gentil et qu’il aime bien Olivier, ce dernier noue une amitié réciproque avec lui. Plusieurs années de suite, Olivier part même dans son centre de vacances de « Joyeuse rivière », en colonie ! Nature, soleil et amusements, c’est le paradis. Et puis arrive cette année des 12 ans, où Pierre lui parle de ses problèmes de nervosité. Le remède, selon lui, c’est de se faire masser le ventre avant de s’endormir. Lors d’une discussion un peu malsaine, il demande à Olivier de lui rendre ce service…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bien entendu, le crime évoqué dans le titre est ici symbolique : dans ce récit autobiographique, Olivier Ka « tue Pierre », comme d’autres « tuent le père » dans le sens freudien du terme, par le biais d’une psychothérapie. Ce n’est pas la première fois qu’un auteur use de son talent d’écriture pour relater un épisode douloureux de son passé et mieux l’exorciser. Mais il n’est pas courant de voir cette intention aussi clairement assumée et énoncée : les lecteurs comprennent vite qu’ils tiennent l’arme du crime entre leurs mains. Pire, en lisant, ils y participent ! Sans pudeur, mais sans complaisance non plus, Olivier Ka nous raconte ouvertement ce soir de colonie de vacances, lors duquel son ami Pierre, avec qui il était en totale confiance, lui a demandé de toucher son corps. Il n’a été ni violé ni abusé, mais cet épisode a créé un « mini traumatisme » qui lui a pourri l’existence jusqu’à présent. Intellectuellement saine, cette démarche en dit également long, avec du recul, sur le sens d’une œuvre créatrice. Olivier Ka ne fait pas que « tuer Pierre », il règle aussi ses comptes avec un type d’éducation, avec la religion et avec lui-même, petit être innocent et mature à la fois. Tout ce qui est raconté ici est absolument vrai ; la part romancée restant éventuellement liée à l’interprétation graphique d’Alfred. Or il se trouve justement que le dessinateur et le scénariste sont deux amis intimes. Fortement favorisée par le talent du dessinateur, cette connivence aboutit à un véritable petit chef-d’œuvre du 9e art, à une harmonie « graphico-narrative » rare. Judicieusement, Alfred fait varier son style au grès de la gravité du récit. Les choix graphiques empruntés pour relater les différentes phases de ce malaise, en matière de dessin, de découpage, de couleurs, sont toujours délicats et idoines. Alfred s’est tellement impliqué dans cette démarche, qu’il en est devenu l’un des acteurs. On est parfois amusé, souvent bouleversé et même totalement absorbé par cette histoire relativement ordinaire… Car si les médias font souvent l’écho d’histoires de curés et d’attouchements, d’ordinaire plus graves, celui-ci est retranscrit avec telle loyauté qu’on la vit intensément. Rarement on se sera senti aussi proche d’un tiers épisode usuellement tabou. D’autant plus qu’un coup de théâtre final et totalement imprévu par les auteurs eux-mêmes, vient parachever l’œuvre en lui accordant encore plus de sens. Le crime est parfait.