L'histoire :
Le premier exil est initié par le grand-père de la famille, Adolf Mechner, qui décide de quitter Vienne en 1938, lorsqu'il assiste à un défilé nazi dans les rues de la capitale autrichienne. Franzi, le père de l'auteur, partira finalement en France. Impossible d'obtenir un visa rapidement pour les Etats-Unis pour toute la famille. Adolf, quant à lui, sera parti pour Cuba un an plus tôt, directement menacé en tant qu'homme juif. Deux générations plus tard, Jordan, le petit-fils d'Adolf et le fils de Franzi, est concepteur de jeux vidéos. En 2015, il vit à Los Angeles et propose à sa famille un projet inattendu : aller vivre trois ans en France pour y développer une nouvelle version de Prince of Persia, un jeu culte qu'il a inventé plus de vingt ans plus tôt. Pour son couple récemment formé et pour ses enfants adolescents, c'est un déchirement potentiel. En parallèle d'un travail qui continue de le passionner, il consacre une partie de son temps à numériser et remettre en forme les journaux intimes de son grand-père. Des milliers de pages manuscrites, des photos de toutes les époques qui constituent la mémoire de la famille, depuis la première guerre mondiale où Adolf servait dans l'armée allemande.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est un choix osé de Jordan Mechner de raconter à la fois l'histoire de sa famille et son parcours personnel dans les jeux vidéos. On pourrait croire les deux histoires incompatibles, pourtant le surgissement de la Mémoire familiale au milieu des décisions très contemporaines de l'auteur leur donnent un relief tout particulier. Mechner raconte son parcours avec une vraie transparence sur une certaine vacuité des enjeux de sa vie plutôt privilégiée, de Los Angeles à New York pour rencontrer son frère, ou dans un appartement en bord de mer. La profondeur est ailleurs, dans l'incroyable force d'une famille qui renonce à son confort pour tout simplement survivre. Chacune des décisions prises par les membres de la famille entre 1938 et la fin de la guerre est déchirante mais très sensée. Les pages où l'on assiste à un dîner de la Pâques juive, celui où l'on commémore l'exode hors d'Egypte, sont absolument éclairantes de sens et de sobriété. Avec beaucoup de justesse, l'auteur réussit à nous faire vivre des moments d'émotion très forts, qui donnent sa vraie force au récit. Ils transcendent le destin de cette famille pour devenir symboliques de la nécessité de l'exil, de la force et du courage de ceux qui en prennent la décision. Pour son premier album de BD, et malgré quelques sauts parfois un peu rapides entre les époques, le créateur de Prince of Persia s'en sort très bien. L'ensemble est fluide et progresse avec régularité, les plus de 300 pages laissent le temps aux anecdotes amusantes de se glisser une petite place au milieu de la grande roue de l'histoire. Un vrai travail personnel, une lecture accessible à tous dont on ressort enrichi.
