L'histoire :
Dans un avenir relativement proche (2050), depuis sa sortie de l’Union Européenne, la France est soumise à un régime politique autoritaire et obscurantiste. Des purges ont eu lieu, des décisions juridiques radicales, de grande ampleur, ont été prises. Notamment le programme « Vérité-Sécurité », qui consiste à diluer dans l’eau potable un sérum de vérité à une majorité de citoyens justiciables, la zanédrine. De fait, ceux qui y sont soumis disent forcément ce qu’ils pensent, même si c’est discourtois. Ainsi Kader refuse de fêter l’arrivée d’un nouveau collègue de travail en participant à un pot après le boulot, tout simplement parce qu’il hait ses collègues de travail. Ainsi activiste politique et normalien, Kader travaille à la maintenance des éoliennes : chaque jour, il sillonne seul le vaste parc naturel et repère les zones de corrosion, les dégradations ou… les tags de propagande rebelle. Et il envoie des rapports à sa hiérarchie. Quand il arrête de travailler, il rejoint son petit studio en haut de son immeuble et s’y connecte à Holoporn, pour discuter avec Deborah, une pute virtuelle. Régulièrement, il se rend aussi dans un centre de médiation pour les divorcés, afin de voir sa fille Lucy et tenter de parler – sous contrôle d’une assistante sociale – avec son ex-femme Heike. Pour autant, Kader est-il vraiment rentré dans le rang ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bienvenu dans un futur sombre et pollué, sous contrôle étatique permanent, où la vie sociale est tellement édulcorée et surveillée qu’elle a perdu toute saveur, où les derniers plaisirs restant sont virtuels. En tant que scénariste, Cyril Pedrosa n’y est pas allé avec le dos de la cuillère dans les clichés de la chronique d’anticipation pessimiste. Cela dit, dans le registre, il est très difficile de s’affranchir des bases puissantes fondées par le roman 1984 (George Orwell), le grandiose mais trop peu connu Un bonheur insoutenable (Ira Levin), ou en BD par le nom moins excellent SOS Bonheur (Van Hamme, Griffo). Pedrosa nous immerge ainsi dans un avenir peu enviable et forcément caricatural. L’idée centrale, pourtant pas si bête, vient de l’obligation qu’ont certains citoyens de dire la stricte vérité, en raison d’un sérum qui leur est inoculé. La vérité promet en effet de s’assurer un contrôle absolu des citoyens potentiellement renégats. Cependant, de nombreux points restent flous sur les causes de cet état de fait : on les apprend par bribes (et pas tous) au fil de la lecture… et plutôt vers la fin. Le principal étant que pour les besoins de l’intrigue, le héros y soit soumis. Et on traverse le récit sans douter une seule seconde qu’il va s’en affranchir… à moins que ce ne soit déjà le cas. Cette trame un peu éculée se fait dans une ambiance atrabilaire à l’extrême : les dialogues sont souvent sibyllins, le héros tire toujours la même tronche blasée, les décors ultra-urbains et renfermés sont gris et dénués d’éléments de décors naturels… Le dessinateur Nicolas Gaignard, pour qui c’est là le premier album, n’a pas du rire tous les jours, à devoir composer une telle partition grisâtre ! Il réussit cela dit parfaitement l’exercice de l’avenir sombre, à l’aide d’un encrage semi-réaliste cohérent et une mise en scène cinématographique prégnante, tout du long des… 146 planches ! Au final, les clés de l’anticipation (trop rare en BD) sont bien là, mais un peu convenues… en vérité ! (nous chroniquons tous sous zanédrine)