L'histoire :
Dans Unresolved Cliffhanger 1, une jeune femme assistant à un spectacle se demande pourquoi elle ne ressent rien. Elle compare ce qu'elle voit à une bande dessinée qui ne saurait traduire la vitalité des mouvements. Elle se remémore sa naissance et le fait qu'elle est née « en double », une petite version d'elle-même, tel un ego, s'étant cachée sous le placenta. D'habitude, cet ego est caché dans le cœur et entre nos deux ventricules...
Voitures d'amour évoque la préparation du décès d'une femme vivant en couple avec une amie. Celle-ci fait l'acquisition d'une voiture moderne très spéciale, livrée avec un cercueil associé. Pas de volant ni de pédales, mais des bacs de gel dans lesquels on plonge ses membres et une sorte de micro dans lequel on plonge sa langue afin de démarrer le moteur. Après sa mort, ses habitudes sensorielles ayant été enregistrées par ces capteurs d'une technologie futuriste, sa compagne trouvera dès lors une totale synergie dans la conduite de l'engin…
Dans Sang de porc, Aline, artiste, vient de vendre une de ses œuvres à la galerie où elle est exposée. Cela va lui permettre de bien passer ses prochaines semaines. Pour le virement, le transfert d’argent s’effectue désormais via notre code génétique, où sont inscrites nos coordonnées bancaires. Néanmoins l’ADN étant difficile à coder, un pont était nécessaire à trouver et celui-ci a été permis grâce à l’ADN de porc. Les quelques jours suivant un important virement, des réactions porcines sont donc inévitables. L’objet de kifs que d’aucuns attendent avec impatience...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Stephen Vuillemin est un inconnu pour la plupart des BDphiles. Né en 1986, illustrateur et réalisateur d'animation, il publie néanmoins en 2011 un web comic : Lycéennes, utilisation nouvelle des gifs animés qui attire l'attention de nombreux médias. En 2022, son premier court-métrage d'animation A Kind of Testament est couronné d'une vingtaine de prix internationaux. Il réside entre le jura et Tokyo et ses passions oscillent entre cinéma, musique hip-hop et mode, pour laquelle il travaille. Cette dernière se retrouve d'ailleurs dans les thèmes abordés au sein de ces 23 strips plus ou moins longs. Son style graphique très numérique proposant un trait fin et des couleurs - pouvant par moment évoquer le Ecoute, Jolie Marcia du brésilien Marcello Quintanilha - développe cependant un aspect plastique voire inhumain à ses personnages, souvent déformés exagérément. Dès lors, difficile de les différencier des véritables monstres ou abominations abordés au long de ces scénettes science-fictionnelles. Publiées sur Instagram ou les revues Mouvement magazine et Klubzin, comme des bulles d'air spontanées répondant à la maniaquerie de son film réalisé durant sept ans, celles-ci surprennent par leur étrangeté et leur radicalité frontale. Il est fort à parier que ces idées complètement loufoques sont issues de rêves, tant leur délire défie toute logique ou morale. Et c'est ce qui fait l'entièreté de leur charme. Stephen Vuillemin aborde néanmoins des sujets qui lui tiennent à cœur, on le sent, tel le rapport à la mode, à la gastronomie, au spectacle, au paraître (tatouages, changements physiques...), à la force déviante des réseaux sociaux. Et jamais on ne tombe dans l'abstrait total ou le grand défouloir. Il y a du surréalisme dans ses interrogations et même une vision du futur, certes inquiétante, mais savoureuse, car traitée avec une ironie certaine et surtout beaucoup d'humour (même s'il est souvent vache, ou éléphant, en référence au dernier strip en pleines pages, Lait d'éléphante). Du grand art moderne, que des amateurs avisés tels Ugo Bienvenu ont d’ores et déjà salué.